La nuit tombait rapidement, peignant le ciel de nuances d'orange et de pourpre. Alan s’immobilisa sur une crête rocheuse, scrutant l'horizon. Les lumières lointaines du groupe brillaient faiblement, vacillantes comme des lucioles prêtes à s'éteindre.
Il ouvrit son sac et déploya la tente gonflable. En quelques secondes, le petit abri se dressa sur le sol inégal, émettant un souffle discret en se pressurisant. Alan régla rapidement les évents pour maintenir une circulation d'air. Le souvenir à peine estompé de l'odeur des cadavres dans les maisons le hantait encore. Les Survivants, lui compris, avaient appris à préférer l’incertitude de l’extérieur aux relents putrides des intérieurs abandonnés.
Il s'assit devant la tente, observant le paysage étouffé par le silence. Depuis l’attaque des nanites, les cris nocturnes des animaux s'étaient progressivement raréfiés. Ce silence était un rappel constant de l'érosion de la vie, mais Alan trouvait une forme de calme dans cette solitude.
Son regard se tourna vers les Spectres. Les intentions des membres du groupe étaient visibles à cette distance : une constellation d’une trentaine de couleurs et de formes en mouvement. Des teintes d’or et de vert traduisaient l’espoir et la coopération. Parfois, une pulsation rouge émergeait, reflet de tensions passagères.
Il devait décider. Rejoindre le groupe, ou continuer seul ?
La perspective de retrouver une stabilité sociale avait un attrait indéniable. Pouvoir compter sur d’autres, échanger des idées, briser l’isolement pesant : ces pensées réchauffaient son esprit. Pourtant, cela impliquait aussi une perte d’autonomie. Chaque décision, chaque mouvement serait soumis à l’approbation tacite ou explicite du groupe. Alan se demandait s’il pourrait tolérer cette forme de contrainte alors qu’il avait jusqu’ici survécu par ses propres moyens.
Alan inspira profondément, les yeux fixés sur la danse des couleurs dans le lointain. La décision n'était pas simple.
Il entra dans la tente, fermant l’ouverture d’un geste sécurisé. Une nuit de plus seul ne lui ferait pas de mal. Mais le dilemme continuait de flotter dans son esprit, pesant comme une pierre dans sa poche.
Le matin, Alan se réveilla au son étouffé d’un vent léger, chaque réveil marqué par une légère appréhension. Bien qu'il sache que les nanites n’attaquaient pas les Survivants, leur présence constante et imperceptible agissait comme un rappel silencieux de leur emprise sur le monde. Il mangea un repas froid, des restes de ration compactée. Le go?t fade et la texture granuleuse incitèrent davantage à réfléchir à la possibilité de rejoindre le groupe, où il aurait peut-être accès à des vivres variés et une certaine chaleur humaine.
Il plia la tente rapidement, ajusta son sac, puis descendit par le sentier, loin des agglomérations.
Les villes et villages semblaient figés dans une éternité morbide. Les rues désertes étaient bordées de maisons aux volets mi-clos, derrière lesquels le silence pesait comme un linceul. Les cadavres, trop nombreux pour être enterrés et personne pour le faire, gisaient dans tous les lieux, marquant de leur présence putréfiée les vestiges d'une civilisation éteinte. L'air était lourd, chargé de cette odeur fade et insidieuse de décomposition qui ne disparaissait jamais complètement.
Alan se souvenait d’un jour, en traversant un village abandonné. Il avait poussé la porte d’une boulangerie pour se mettre à l’abri. Derrière le comptoir, un homme était assis, la tête inclinée sur le c?té. Le cadavre du boulanger, probablement. Ses mains encore tachées de farine étaient posées sur ses genoux, figées pour l’éternité. Le four à pain était resté ouvert, des miches carbonisées reposant à l’intérieur. Mais ce n’était pas ?a qui avait marqué Alan. C’était la petite pancarte posée sur le comptoir : ? Souriez, c’est la maison du bonheur. ?
Il était reparti sans un mot.
à la campagne, les choses étaient moins oppressantes, mais une autre réalité s’imposait : les animaux mouraient eux aussi, leurs corps s’entassaient dans les champs, sur les routes, sous les arbres. Les oiseaux, d’abord rares, semblaient désormais presque absents. Le sol était jonché de carcasses de lapins, de cerfs, même de chiens errants qui avaient cessé d'être une menace.
Une fois, Alan avait croisé un cheval mort, couché sur le flanc au bord d’un ruisseau. Ses yeux vides fixaient le ciel, et ses sabots s’enfon?aient légèrement dans la terre humide. L’eau continuait de couler, indifférente, tandis que les brins d’herbe aux alentours commen?aient à faner.
Mais le plus frappant, c’était les arbres. De plus en plus d’entre eux présentaient des cimes mortes, leurs feuilles jaunissant prématurément, comme br?lées par un poison invisible.
Alan se souvenait particulièrement d’un chêne majestueux qu’il avait observé en haut d’une colline. Ses branches inférieures étaient encore verdoyantes, mais le sommet était entièrement roussi. Un contraste saisissant. Il avait eu l’impression de regarder un géant à l’agonie.
Les nanites. Ces objets infiniment petits, invisibles à l'?il nu, étaient partout. Ils flottaient dans l’air, se déposaient sur les surfaces, pénétraient les organismes. Ils avaient détruit le monde d’avant, réduisant l’humanité à une poignée de Survivants. Mais ce n’étaient pas de simples machines destructrices. Leur comportement suggérait autre chose. Une forme d’intelligence, une conscience collective peut-être.
Alan se demandait souvent ce qui les contr?lait. Une force inconnue ? Une entité extérieure ? Ou bien avaient-ils évolué par eux-mêmes, devenant quelque chose d'autre, quelque chose d'incompréhensible ?
Ce qui le troublait le plus, c’était la question des Survivants. Pourquoi eux ? Pourquoi certains avaient-ils été épargnés alors que des milliards étaient morts en quelques heures ? Il n’y avait aucune logique apparente. Et plus troublant encore, pourquoi les nanites semblaient-ils avoir modifié ceux qui restaient ?
Alan le constatait chaque jour un peu plus. Lui-même, comme les autres Survivants qu’il croisait, avait rajeuni. Son corps avait été ramené à une trentaine d’années. Ses réflexes, sa force, même son endurance, s’étaient améliorés. Certains étaient peut-être aussi dotés de capacités mentales nouvelles, comme lui-même avec sa perception des intentions des autres.
Cela n’avait aucun sens.
? Pourquoi nous améliorer ? ? se demandait-il souvent. ? Pourquoi ne pas simplement nous laisser mourir ? ?
C’était une question sans réponse, et elle le hantait. Si les nanites étaient capables de tuer toute vie sur Terre, pourquoi laisser ces rares Survivants en vie… et pourquoi les rendre meilleurs ?
Cette pensée le poursuivait lorsqu’il parcourait les routes désertes, chaque cadavre humain ou animal renfor?ant l’absurdité de la situation. Il n'y avait aucune logique apparente. Juste un mystère écrasant.
Alan avan?ait jour après jour, comptant ses réserves, s’adaptant à son environnement. Il ne savait jamais ce que le lendemain lui réserverait, mais une chose était s?re : il continuerait d’avancer.
Son voyage l’avait conduit à travers des vallées et des montagnes, sur des routes autrefois animées, désormais figées dans un immobilisme oppressant. Il devait survivre, avancer, trouver de quoi subsister sans s’attarder dans des endroits incertains.
Il posa son sac à terre et fouilla dans une poche latérale, en sortant un petit sachet de viande séchée. Il la mastiqua lentement, savourant la moindre fibre salée qui s’effilochait sous ses dents. Ses réserves diminuaient, et il savait qu’il lui faudrait bient?t trouver de quoi les compléter.
Une fois sur la route, il augmenta progressivement son allure pour combler la distance qui le séparait de l’arrière du groupe. La journée était magnifique : un ciel limpide et une brise douce caressaient la végétation méditerranéenne qui tapissait cette région de moyenne montagne. Les senteurs de pins et de thym venaient parfois lui chatouiller les narines, contrastant avec l’atmosphère pesante de sa réflexion.
Après le repas frugal de midi, il aper?ut enfin les derniers membres du groupe. Quatre personnes, visiblement armées, formaient une sorte de barrière protectrice à l’arrière. Leurs visages étaient calmes, leurs Spectres non mena?ants. Alan ralentit un peu, observant leurs gestes. Ils semblaient bien organisés, mais pas oppressants. Cette vision le rassura quelque peu.
Le reste du groupe progressait plus loin sur la route. Sans doute vers le Phare. Du moins l’espérait-il, car c’était aussi son chemin.
Alan se souvenait parfaitement de la première fois qu’il avait vu le Phare. C’était deux mois après la Vague, dans le silence oppressant de sa maison. Seul. Les jours étaient devenus des successions indistinctes d’errances et d’efforts pour subsister. Il passait d’une pièce à l’autre, souvent en évitant celles qui étaient trop chargées de souvenirs : la chambre conjugale, la salle de jeux de ses enfants. Ces portes restaient fermées, comme pour contenir la douleur qu’elles abritaient.
Le jardin était devenu une zone interdite. Au fond, sous les feuilles mortes qui s’étaient accumulées, reposait sa famille. Alan les avait enterrés lui-même, incapable de les abandonner plus loin. Chaque fois qu’il envisageait de s’y rendre, l’élan était coupé par un poids dans sa poitrine, une épuisante certitude que les revoir, même en pensées, le briserait.
Il sortait seulement pour des raisons pratiques : vérifier le vélo et la remorque qu’il utilisait pour chercher de quoi survivre, dans les villes sans vie alentour.
Dans la maison, le miroir de l’entrée était devenu un arrêt presque obsessionnel. Son reflet évoluait chaque jour, et le changement était maintenant évident. Ses traits se raffermissaient, ses rides s’atténuaient. Le visage fatigué d’un homme de soixante-quatre ans s’était transformé en celui d’un homme dans la trentaine. Ce rajeunissement, loin de le réconforter, lui inspirait de l’effroi. Il ne comprenait pas. Chaque regard dans le miroir alimentait des questions sans réponse. ? Où est le réel ? ? se demandait-il. ? Est-ce seulement réel ? ?
Ses repas étaient aléatoires, frugaux. Il survivait plus qu’il ne vivait, l’esprit à peine conscient de l’écoulement du temps. Jusqu’à ce qu’une nuit, une lumière inopinée interrompe sa torpeur. Alors qu’il était dans la cuisine, un halo discret émergea dans un coin de la pièce. électricité revenue ? Non, l’ampoule au plafond restait éteinte.
Il plissa les yeux, cherchant une explication. La lumière semblait avoir une source propre. Elle ne brillait que dans une direction précise, comme si elle montrait quelque chose. Quand il se retournait, elle disparaissait. Intrigué, Alan parcourut la maison, mais le phénomène se reproduisait dans chaque pièce. Dehors, c’était pareil. La lumière pointait toujours dans la même direction, constante et immuable.
Au début, il crut à un trouble oculaire ou à une hallucination. Mais après plusieurs jours, la lumière devint une présence qu’il ne pouvait plus ignorer. Elle semblait vouloir le guider. Graduellement, l’idée s’imposa à son esprit : cette lumière était un but. Un appel silencieux qui réveilla en lui un reste de volonté.
Il commen?a les préparatifs. Alan ne savait pas où cette lumière le conduirait, mais il savait qu’il devait partir. L’immobilité devenait insupportable, et ce Phare, comme il en vint à l’appeler, représentait une raison de continuer.
Le moment de prendre contact approchait. Chaque pas le rapprochait un peu plus d’une décision qu’il ne pouvait plus repousser.
Pour se faire repérer sans provoquer d’agitation, Alan longea les hauteurs qui surplombaient la route. Son regard balayait les environs, s’attardant sur l’ombre dissimulée sous une arche de pont. Un homme y était posté, petit et trapu, mais ses gestes semblaient dénués d'agressivité. Alan passa sur le pont, ses pas résonnant légèrement sur l’asphalte craquelé. Il savait que l’homme sortait de sous l’arche et le suivait lentement, mais il ne se retourna pas.
à l’approche du virage suivant, Alan aper?ut les trois silhouettes immobiles, dissimulées dans les ombres. Lorsqu’il les rejoignit presque, les trois surgirent brusquement. Deux d'entre elles brandissaient leurs armes, mais sans grande conviction.
Le premier homme, grand et élancé, avait des gestes mesurés, presque rassurants. Le deuxième, un colosse au visage sérieux, gardait son arme baissée, se contentant d’observer.
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La troisième, une jeune femme d’apparence hispanique, possédait une beauté austère. Ses cheveux bruns encadraient un visage déterminé, Elle se tenait en position de tir, un pistolet fermement braqué vers lui, les bras tendus. Son regard per?ant était fixé sur Alan, mélange de méfiance et de concentration absolue, comme si chaque fraction de seconde pouvait déterminer l’issue de la rencontre.
Elle portait un débardeur noir ajusté et un pantalon de camouflage militaire.
L’homme sous l’arche était toujours derrière Alan, silencieux mais présent.
? Lève les mains ?, ordonna la femme d’une voix ferme.
Alan obéit sans protester, ses bras s’élevant lentement. Il esquissa un sourire, brisant la tension d’une pointe d’ironie.
? Heureux de vous voir, moi aussi. ?
L’homme derrière lui lui prit son sac, détacha le fusil et le pistolet qu’il portait. Alan ne protesta pas, gardant les yeux sur les trois autres.
Son regard s’attarda sur la jeune femme. Son attitude était ferme, presque rigide, mais son Spectre racontait une autre histoire. Des teintes d’incertitude et de trouble pulsaient autour d’elle, comme un halo d’inquiétude masqué par une fa?ade impassible.
Alan détailla un instant son visage. Il le trouva magnifique, avec des traits marqués mais harmonieux, et un regard profond qui semblait porter le poids de questions sans réponse.
L’apparente contradiction entre son attitude et ses émotions intérieures le fascinait. Il la regarda sans détour, laissant une part de lui-même se perdre dans cette complexité.
Or, tout allait se jouer ici, dans cette rencontre inattendue. Ce n'était plus simplement une décision à prendre, c'était un moment décisif pour son avenir et bien au-delà. Chaque mot, chaque geste allait sceller un destin qu'il ne contr?lait plus entièrement et qui le dépassait.
La femme fron?a légèrement les sourcils en croisant son regard insistant.
? Moi, c'est Alan ?, déclara-t-il finalement, rompant le silence.
Le grand homme élancé hocha la tête avec un sourire discret. ? Robert ?, dit-il. ? Mais tout le monde m'appelle Bob. ?
Le colosse à l'air sérieux haussa les épaules. ? Jean. Ou Johnny, comme tu préfères. ?
Alan se retourna légèrement vers l’homme qui se tenait derrière lui. Celui-ci était resté silencieux jusque-là.
? Ibrahim ?, dit-il simplement.
Alan reporta son attention sur la femme, qui continuait de le fixer sans dire un mot.
Quelques secondes de silence passèrent, et ce fut Bob qui intervint.
? Elle, c'est Jennel. ?
Le prénom fit écho dans l'esprit d'Alan, vibrant comme une corde tendue. Il esquissa un sourire.
? Très joli. Un vieux prénom. ?
La remarque sembla flotter un instant, mais la femme ne réagit pas. Son regard, cependant, s’assombrit brièvement, comme si une pensée fugace venait de traverser son esprit.
Ils reprirent la marche le long de la route sinueuse. Bob marcha aux c?tés d'Alan, entamant la conversation avec une aisance naturelle.
? Tu vas où ? ? demanda Bob.
Alan haussa les épaules. ? Vers le Phare, le point lumineux si tu préfères. D’après mes observations, il me semble que c'est aussi votre destination ? ?
Bob acquies?a. ? Oui. On le suit depuis des semaines. Un homme dans notre groupe, Michel, est capable de le percevoir. C'est grace à lui qu'on avance dans la bonne direction. ?
Un silence.
? Mais il n'est pas le seul à avoir des capacités particulières. ? Il jeta un regard furtif vers Jennel. ? ? Dés qu’elle voit les gens, elle peut lire leurs intentions . ?
Alan sentit une vague de soulagement l'envahir. Il n'était pas une anomalie isolée. D'autres avaient également développé des dons inhabituels dans ce monde en souffrance.
Jennel, subitement, sortit de son silence. Sa voix était basse, mais assurée.
? Pas pour toi. ?
Alan la regarda, interloqué. ? Quoi ? ?
Elle soutint son regard sans ciller. ? Je ne vois rien autour de toi. Rien. C'est comme si tu étais... invisible. ?
Alan resta silencieux un instant, digérant l'information. Invisible aux yeux de quelqu'un capable de lire les intentions ? C'était une révélation troublante.
Il devait être franc à leur égard :
? Moi aussi, je vois ce que j’appelle les Spectres. Y compris le tien Jennel. ?
Bob sembla surpris, et Jennel tourna légèrement la tête vers Alan, attentive.
? Depuis combien de temps ? ? demanda Bob.
? Trois mois après la Vague. Mais ma portée est beaucoup plus grande. Je peux voir les Spectres sur plusieurs kilomètres, même sans les voir directement. ?
Jennel fixa Alan avec une expression indéchiffrable. Son regard oscillait entre la curiosité et la méfiance.
La route continuait de serpenter à travers les collines, mais Alan ralentit le pas. Son regard se porta vers le fond du vallon, où un ruisseau scintillait faiblement entre les arbres.
Sans prévenir, il s'arrêta net et quitta la route pour descendre le long de la pente. La surprise se lut sur les visages du groupe.
? Reste avec nous ?, ordonna Jennel d'une voix ferme.
Alan tourna légèrement la tête, un sourire énigmatique sur les lèvres.
? Suis-moi, tu verras. ?
Jennel serra les machoires, visiblement contrariée, mais elle finit par descendre à sa suite. Les autres membres du groupe hésitèrent un instant, puis les suivirent à distance prudente.
Au fond du vallon, le ruisseau serpentait tranquillement. Quelques arbres bordaient les berges, mais Alan s'arrêta devant un détail troublant.
? Regarde, Jennel ?, dit-il en désignant les cimes des arbres. Toutes étaient roussies, comme br?lées par un feu invisible. ? Les nanites attaquent aussi les arbres. ?
Jennel plissa les yeux, observant les feuilles desséchées et les branches affaiblies.
? Tu es comme Michel, tu crois à cette théorie ? ? demanda-t-elle, un brin sceptique.
Alan hocha lentement la tête. ? J'ai appris cette certitude par internet… quelques instants avant la Vague. Des scientifiques en avaient détecté un peu partout depuis des semaines, mais … interdiction d’en parler. ?
Le regard de Jennel s'adoucit, la méfiance laissant place à une once de curiosité. Elle fixa Alan, visiblement ébranlée par ses paroles.
Alan lui adressa un sourire triste. ? Il y avait encore des réponses… ou plut?t des questions, avant que tout ne s'effondre. ?
Un silence s'installa, mais quelque chose changea dans le regard de Jennel. Comme si un souvenir heureux venait de traverser son esprit, apportant une étincelle d’humanité qu’elle semblait avoir oubliée.
Alan la regarda, intrigué.
La suite du chemin était étrange, presque méditative. Le silence régnait, mais une certaine tension semblait s'être dissipée. Alan nota que Jennel ne marchait plus derrière lui, mais à ses c?tés.
? Comment savoir tes intentions ? ? demanda-t-elle soudainement.
Alan la regarda brièvement, puis reporta son attention sur le chemin devant eux.
? à l'ancienne. En faisant confiance. ?
Jennel eut un léger ricanement, presque incrédule.
? Certains sont dangereux. ?
Alan haussa les épaules. ? Ou simplement perdus. ?
Ils arrivèrent finalement au nouveau campement du groupe. Des tentes plus ou moins rudimentaires étaient disposées en cercle autour d'un feu. Les visages fatigués des Survivants se tournaient vers eux, marqués par la vie difficile qu'ils menaient.
Un homme s'approcha d'eux, le regard vif et alerte. Il portait une barbe poivre et sel et des vêtements usés, mais son port était digne.
? Michel ?, dit Bob en présentant l'homme à Alan.
Alan hocha la tête avec respect, tendant la main.
? Vous êtes leur guide, c’est une tache vitale. ?
Michel lui serra la main avec fermeté, mais ses yeux semblaient le jauger, cherchant à comprendre qui était cet inconnu.
Alan sentit le poids des regards autour de lui. Il fit en sorte de ne pas para?tre comme une menace ou un concurrent pour Michel.
? Je ne suis ici que pour aider pendant quelque temps, si je le peux ?, ajouta-t-il avec un sourire mesuré.
Michel hocha lentement la tête, son regard devenant un peu moins méfiant.
Jennel, toujours muette, indiqua à Alan un emplacement pour sa tente. Les voisins, malgré la fatigue visible sur leurs visages, se montrèrent cordiaux, lan?ant quelques salutations discrètes.
La nourriture qu'on leur distribua n’était guère plus enthousiasmante que les rations qu'Alan avait consommées seul ces derniers jours. Mais il s'en contenta, assis sur un tronc d'arbre à l'écart du reste du groupe.
Le nombre de personnes présentes autour de lui le perturbait. Trop de monde, trop de mouvements. Il n'était plus habitué à la foule.
Alan s’approcha du feu central où quelques Survivants étaient rassemblés. Les visages, marqués par la fatigue et la méfiance, se tournèrent brièvement vers lui avant de se détourner. L’atmosphère était pesante, comme si chaque mot prononcé était un risque calculé.
Il revint sur la souche d’arbre, légèrement à l’écart. Les discussions autour de lui étaient feutrées, presque murmurées. Une femme, occupée à réchauffer une conserve, échangeait des mots rapides avec un homme qui triturait une carte pliée en quatre. Un autre regardait les flammes avec une intensité troublante, ses mains tremblantes posées sur ses genoux.
Michel s’approcha avec une tasse de métal contenant un liquide tiède et la tendit à Alan. ? Café, si on peut encore appeler ?a comme ?a. ?
Alan hocha la tête en remerciement, portant la tasse à ses lèvres. L’amertume du breuvage était à peine masquée par une vague odeur de br?lé. Mais il n’était pas là pour apprécier le luxe.
? Tu t’es déjà demandé comment on tient tous ensemble ?? demanda Michel, s’asseyant à c?té de lui.
Alan haussa les épaules. ? La nécessité, j’imagine. Les gens n’ont pas beaucoup d’options. ?
Michel esquissa un sourire las. ? C’est vrai. Mais c’est plus fragile qu’il n’y para?t. Les ressources, les tensions, les méfiances... C’est un équilibre précaire. ?
Il désigna d’un geste discret une petite scène à quelques mètres de là : deux hommes débattaient à voix basse sur la répartition des rations. Le ton montait légèrement, mais les regards des autres membres du groupe suffisaient à maintenir une tension contenue.
? Ces petites disputes sont des étincelles ?, poursuivit Michel. ? Parfois, il suffit d’une pour faire exploser tout le groupe. ?
Alan observa en silence, notant les détails qu’il n’avait pas per?us auparavant : les regards furtifs, les mouvements défensifs des mains, comme si chacun s’attendait à devoir se protéger. Il pensa à la solitude qu’il avait cultivée avant de rejoindre ce groupe. Et à ce qu’il avait fui.
? Tu as l’air de bien gérer ?a ?, finit-il par dire.
Michel secoua doucement la tête. ? Pas toujours. Mais j’ai appris une chose : ce sont les petits gestes qui comptent. Une parole rassurante, un regard qui dit qu’on est là les uns pour les autres. Sans ?a, tout s’effondre. ?
Alan acquies?a lentement. Il porta à nouveau la tasse à ses lèvres, méditant sur les paroles de Michel.
Un cri soudain éclata à l’orée du camp. Une femme, visiblement épuisée, se tenait debout, sa voix tremblante de colère. ? Pourquoi lui ? Pourquoi c’est toujours lui qui a les meilleures parts ? ?
L’attention de tout le camp se concentra sur elle. L’homme visé, un colosse à la mine fermée, croisa les bras, ses muscles tendus sous sa chemise usée. ? Parce que je me bats pour ce groupe, chaque jour. ?
Les murmures s’élevèrent, mena?ant de basculer en cacophonie. Alan sentit une bouffée d’angoisse monter en lui, mais Michel se leva calmement, levant une main.
? écoutez-moi ?, dit-il d’une voix forte, mais mesurée.
? Nous sommes tous fatigués. Nous avons tous nos limites. Mais si nous commen?ons à nous déchirer, nous ne passerons pas la semaine. ?
Le silence retomba progressivement. Alan observa Michel, impressionné par la manière dont il avait désamorcé la situation. Ce n’était pas un chef, pas officiellement. Mais il portait un fardeau que peu de gens pouvaient supporter.
Michel se rassit à c?té d’Alan, les épaules affaissées. ? Tu vois ce que je veux dire ? ?
Alan hocha la tête. Il comprenait maintenant la dynamique fragile qui maintenait ce groupe debout. Mais il voyait aussi à quel point il était facile de la briser.