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8 - LElu

  Alan, suivi de Jennel et de leur groupe de Survivants, atteignit enfin le sommet du sentier. D’un seul regard, ils furent saisis par le paysage qui s’étendait devant eux. Un vallon aride, où les rochers, les arbres à demi-morts et la poussière rempla?aient les forêts d’antan, plongeait vers une mer étincelante sous le soleil. Un chemin sinueux descendait doucement vers le fond du vallon, bordé de tentes de fortune à perte de vue, et des volutes de fumée s’élevaient des feux de camp dispersés.

  La rivière, mince ruban argenté, serpentait paisiblement en direction de la mer, marquant le centre du paysage. De part et d’autre de ses rives, les vestiges d’un passé prospère se distinguaient : des pavillons et h?tels dégradés par le temps, leurs fa?ades craquelées et leurs jardins envahis par la végétation. Plus loin, le vallon s’ouvrait sur une branche latérale, où des habitations en pierre, éparpillées sur les collines, formaient un hameau discret.

  Sur le versant opposé, dominant la mer, un rassemblement étrange attira immédiatement leur attention. Des silhouettes se tenaient regroupées au sommet, autour d’un point difficilement visible depuis leur position mais qu’Alan savait être le Phare. Un chemin sinueux, visiblement très emprunté, montait vers ce lieu mystérieux, laissant des traces d’allées et venues dans la poussière.

  Au-delà, la c?te apparaissait dans toute sa splendeur brute. Des falaises escarpées alternaient avec des criques secrètes, où de petites plages de sable fin et de galets s’étendaient entre les rochers. Les vagues venaient s’y briser doucement, ajoutant une musique apaisante à ce tableau saisissant. Le climat chaud et ensoleillé baignait le tout d’une lumière dorée, accentuant le bleu profond de la mer. Ce paysage, à la fois désolé et magnifique, racontait l’histoire d’un monde brisé et des luttes silencieuses de ceux qui tentaient d’y survivre.

  Le groupe s’engagea sur le chemin sinueux qui serpentait en pente douce vers le fond du vallon. La poussière soulevée par leurs pas formait un léger voile, dans lequel les rayons du soleil jouaient en éclats d’or. Chaque tournant du sentier révélait de nouveaux détails du paysage : les tentes, de plus en plus nombreuses, formaient un patchwork de couleurs fanées, témoignage d’une existence frugale et de réparations improvisées. Des murmures s’élevaient des campements en contrebas, des voix graves portées par le vent, presque couvertes par le bourdonnement discret des feux de camp.

  Jennel, marchant à c?té d’Alan, laissa son regard glisser sur les silhouettes des pavillons abandonnés au loin. ? Tu crois qu’on pourra s’y installer ? ? demanda-t-elle, le ton mêlé d’espoir et de doute.

  Alan haussa les épaules. ? On verra. Une chose à la fois. ?

  à mesure qu’ils descendaient, l’air devenait plus humide, chargé des senteurs de la rivière et des fumées des feux. Ils croisèrent quelques regards méfiants en passant près des premières tentes, mais personne ne leur adressa la parole. Une femme agenouillée lavait un tissu dans une bassine cabossée, son regard fixant un point invisible au-delà d’eux.

  Le sentier s’élargit enfin à l’approche de la rivière. Les eaux claires, bien que peu profondes, reflétaient les teintes du ciel. Une barque de fortune, faite de planches mal assorties, était amarrée près d’un petit pont de pierre effrité. Le groupe s’arrêta un instant pour contempler la scène, le murmure de la rivière apaisant leurs esprits fatigués.

  De l’autre c?té du pont, un homme et une femme d’origine moyen-orientale les attendaient. L’homme s’avan?a légèrement et se présenta :

  ? Je suis Arman, et voici Leyla. ?

  La voix calme et posée d’Arman contrastait avec l’inquiétude qui habitait les Survivants. Leyla ajouta d’un ton accueillant :

  ? Nous sommes là pour vous montrer votre hébergement. Suivez-nous. ?

  Le groupe les suivit en silence, remontant lentement un sentier escarpé qui serpentait vers le vallon latéral. Les pavillons délabrés laissés en contrebas cédaient la place à des habitations en pierre encore debout, bien que marquées par le temps.

  Alan posa la question que tout le groupe attendait et dont il connaissait la réponse : ? Où est la Source, comme vous l’appelez ? Nous disons le Phare. ?

  Arman désigna un point au-dessus de la mer, tout en haut. ? Au bout du sentier là-haut. Mais vous risquez d’être dé?us. Prenez le temps de vous installer avant d’y aller. ?

  Cette réponse fit na?tre un mélange de hate et d’inquiétude parmi les Survivants. Alan devinait les pensées silencieuses dans leurs regards échangés : avaient-ils fait tout ce chemin pour rien ?

  Enfin, leurs guides désignèrent un groupe de studios décrépis mais encore ornés de quelques fleurs sauvages poussant entre les fissures des murs. Leyla leur conseilla : ? Répartissez-vous au mieux, mais restez groupés. C’est plus s?r ainsi. ?

  Le groupe s’installa en silence, partagé entre l’espoir d’un refuge et l’appréhension de ce qui les attendait au sommet.

  Les 34 Survivants devaient se répartir dans 19 habitations utilisables. Jennel et Alan en choisirent une pour eux. Le studio était simple, son ameublement spartiate : une table en bois brut, deux chaises éraflées, un lit aux couvertures usées, et une étagère bancale où reposaient quelques objets oubliés. Jennel posa son sac dans un coin et passa une main sur le bord de la table, ses doigts soulevant une fine couche de poussière.

  Alan, assis sur le lit, semblait fatigué. Il se leva lentement, traversa la pièce et entra dans la petite salle de bains adjacente. Le bruit métallique du robinet retentit tandis qu’il se penchait pour passer de l’eau fra?che sur ses yeux. Jennel, inquiète, s’approcha de la porte entrouverte.

  ? ?a va ? ? demanda-t-elle doucement.

  Alan soupira et s’essuya le visage avec ses mains. ? Non, pas vraiment. Je… je n’arrive pas à activer mon don. Il y a trop de Spectres. C’est comme… un aveuglement. Je manque d’entra?nement. ?

  Jennel entra dans la salle de bains, son expression adoucie par une détermination calme. ? Alan, tu as fait tout ce chemin. Tu ne peux pas te laisser décourager maintenant. Si tu ne peux pas focaliser, c’est pas grave. Moi, j’ai du mal parfois, mais je peux me concentrer un peu plus facilement. ?

  Il posa son regard sur elle, un sourire triste éclairant brièvement son visage. ? J’ai besoin de toi. Je compte sur toi. ?

  ? Tu peux toujours compter sur moi, ? dit-elle en posant une main réconfortante sur son bras.

  Alan hocha la tête, mais son regard était lointain. ? Je suis stressé. Je m’inquiète que tout cela soit une grosse déception pour le groupe. Après tout ce qu’on a traversé… ?

  Jennel le coupa : ? Non. Alan, ?a ne peut pas s’arrêter ici. Je le sais. Je le ressens. ?

  Son assurance sembla le rassurer un instant. Il inspira profondément et murmura : ? Alors on continue. ?

  Tout le groupe était en effervescence. Entre la curiosité et l’appréhension, chacun s’employait à trouver une place, vérifiant les portes, nettoyant les surfaces, ou simplement s’asseyant pour reprendre son souffle. Rose et Bob coordonnaient les mouvements, attribuant les studios en fonction des besoins et des affinités.

  Leyla leur avait expliqué que Kaynak n’était pas le nom d’origine, que jadis ce lieu était le site d’une station balnéaire, abandonnée bien avant la Vague. Et qu’ici, il n’y avait jamais eu le moindre cadavre humain.

  La répartition finale fut établie : quinze habitations furent occupées par deux personnes chacune, et quatre par une personne seule. Cette organisation permit à tous de trouver un espace, bien que l’exiguité et la simplicité des lieux rappelaient que le confort était une notion oubliée.

  Lorsque tout le monde fut installé, un rassemblement fut organisé à la sortie du hameau. Rose, d’une voix ferme, vérifia la présence de tous. Les Survivants étaient là, impatients mais silencieux. Ils se mirent en marche, empruntant le chemin sinueux qui montait vers la Source.

  Jennel prit la main d’Alan et la serra doucement.

  ? On ne devrait peut-être pas .?, murmura-t-elle, les yeux fixés sur le sentier devant eux.

  Alan, surpris, lui jeta un regard inquiet.

  Elle ralentit le pas, son appréhension devenant palpable. ? Cette colline aride, ce sentier… ? ajouta-t-elle, ses paroles tremblant d’une émotion contenue.

  Il comprit alors. Le second rêve de Jennel, un de ceux qui la hantait, était peut-être ici. Un homme la quittait dans ce rêve, un adieu douloureux.

  Alan s’effor?a de la rassurer : ? C’est fini, Jennel. C’est la dernière étape. Le Phare est juste au sommet. Regarde, on y est presque. ?

  Elle inspira profondément, tentant de calmer son état, et continua à avancer, bien que ses doigts restèrent crispés autour de ceux d’Alan.

  Au sommet, la vue s’étendait au-delà de la mer. Une foule nombreuse s’était rassemblée, certaines personnes immobiles, tournées vers l’océan, d’autres murmurant des prières ou psalmodiant des incantations. Un homme barbu, les bras levés, lan?ait des paroles à voix haute comme s’il cherchait à atteindre les cieux. Tous semblaient orientés vers un objet invisible.

  Le groupe de Jennel et Alan s’approcha, curieux. Au centre de cette agitation se tenait une grande plaque à l'apparence de marbre reposant sur un pied de même nature. Les gens s’y succédaient, s’approchant pour poser leurs mains sur la surface lisse avant de repartir, dé?us. Les murmures évoquaient le mystère de la Source : ? Est-ce tout ? Juste une plaque ? ?

  Un garde armé, portant un bandeau jaune marqué ? sécurité ?, veillait à ce que les visiteurs ne s’attardent pas. ? Avancez rapidement, en file indienne. Il y a du monde derrière vous. ? Sa voix autoritaire ne laissait pas place à la discussion.

  Alan, perplexe, prit de la hauteur pour observer la scène. Rien n’était clair. Que fallait-il faire ? Que pouvait-il dire au groupe ? Jennel, de son c?té, lacha sa main et, suivant Johnny, s’approcha du socle. Johnny posa ses mains sur la plaque, mais se contenta de grimacer. ? Rien ?, dit-il en se tournant vers les autres, l’air frustré.

  Jennel avanca à son tour et posa ses mains sur la surface froide. Une vibration discrète parcourut ses doigts, la faisant sursauter. ? Il y a quelque chose ! ? dit-elle avec insistance, mais les autres, y compris Johnny, secouèrent la tête : ils ne ressentaient rien.

  ? Alan, viens ! ? cria-t-elle, son ton empreint d’urgence. Alan, tiré de ses réflexions, descendit rapidement vers elle. Il coupa la file, provoquant quelques protestations, et posa ses mains en face de Jennel.

  Un jaillissement de lumière naquit du socle, éclairant les visages de la foule pétrifiée. Alan, surpris, leva ses mains, et la lumière disparut aussit?t.

  ? Recommence, chéri ?, murmura lentement Jennel.

  Alan s’exécuta, et cette fois, une lumière orangée se répandit dans la plaque. Il resta paralysé, observant les dessins et symboles qui apparaissaient à la surface, d’une complexité mystérieuse. La foule, figée, regardait en silence. Les prières et incantations cessèrent. Jennel, tremblante d’effroi, fixait le phénomène.

  Une voix s’éleva soudain au-dessus de l’assemblée : ? C’est l’élu ! ?

  Le cri tira Alan de sa léthargie. Jennel et les autres reprirent leurs esprits sous l’effet de l’exclamation.

  Johnny, toujours prompt à plaisanter en toutes circonstances, lan?a : ? Alors là, Chef, tu fais fort ! ?

  Alan, cependant, n’avait pas le luxe de savourer la situation. Il réfléchit rapidement, puis retira ses mains du socle, éteignant l’objet instantanément. Des mouvements de désappointement se firent sentir dans la foule, des murmures d’incompréhension montèrent. Il leva la voix : ? Il sera allumé plus tard. ?

  Se tournant vers ses compagnons, il ajouta rapidement : ? On se replie vite fait. ?

  Il attrapa Jennel par la main et se précipita vers le sentier. La foule, animée par la curiosité et un besoin presque instinctif de le toucher, commen?a à se rapprocher. Leur progression devint rapidement difficile, voire impossible.

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  Alan cria au garde le plus proche : ? Grave problème de sécurité ! Tirez en l’air pour dégager la foule, attirez du renfort, et prévenez Imre ! ?

  Le garde hésita, visiblement peu habitué à de telles directives. Alan durcit son ton : ? Exécution, soldat ! ?

  Sous la pression, il s’exécuta et tira en l’air. Un léger recul de la foule permit à Alan et Jennel de s’extraire du rassemblement. Avec les autres Survivants, ainsi que le garde, ils se lancèrent en courant sur le sentier.

  La descente fut chaotique. Ils croisèrent des personnes stupéfaites, qui s’écartaient sur leur passage. En bas, deux autres gardes se précipitèrent vers eux.

  Alan interpella le garde du haut : ? Essayez d'arrêter la foule, et surtout prévenez Imre des événements ! ?

  Tout le groupe se précipita dans le vallon, leurs pas rapides résonnant sur le sol aride.

  Imre marchait de long en large dans le studio de Jennel et Alan. Son visage trahissait une agitation contenue. ? J’ai renforcé la sécurité autour de la Source et bloqué les accès au hameau. ?

  Jennel hocha la tête. ? Merci pour votre aide, Imre. ?

  Imre s’arrêta et fixa Alan. ? Est-ce que vous comprenez ce qui vient de se passer ? ?

  Alan haussa les épaules. ? J’ai juste servi d’interrupteur. ?

  Imre secoua la tête, sceptique. ? Non, je ne crois pas. Une vingtaine de Sourciers sont venus ici sans aucun résultat. Alors, quelle est la différence ? ?

  Alan esquissa un sourire ironique. ? Sans doute parce que je suis l’élu. ?

  Imre ignora le ton et insista. ? Nous avons besoin de travailler ensemble... ?

  Alan l’interrompit : ? Nous sommes tous crevés. Nous avons besoin d’un bref d?ner et de repos. Demain matin, il nous faudra une grande feuille, un crayon, et un bon dessinateur pour retranscrire ce que transmet la Source. D’ici là, nous devons... je dois réfléchir avec Jennel à ce que nous avons ressenti. ?

  Imre hocha la tête, comprenant. ? Entendu. Je ferai parvenir des provisions si certains d’entre vous en ont besoin. Je vous retrouverai demain matin. ?

  Il se dirigea vers la porte, jetant un dernier regard aux deux compagnons avant de sortir.

  Alan et Jennel s’observèrent. Le silence s’épaissit alors qu’ils cherchaient leurs mots.

  ? Je ne suis pas une sorte d’élu, ? dit soudainement Alan.

  Jennel haussa un sourcil amusé. ? Je ne sais pas. Je ne suis jamais sortie avec un élu. ?

  Ils échangèrent un sourire complice. Jennel reprit, plus sérieusement : ? Mais tu as bel et bien fait ce que personne n’a fait avant. Il doit y avoir une explication. ?

  Alan hocha la tête, pensif. ? Les vibrations. Il n’y a que toi qui les as ressenties. ?

  Jennel croisa les bras, pensive. ? Serais-je devenue une élue, moi aussi ? ?

  Alan lui sourit. ? Il y a déjà longtemps que tu es mon élue. ?

  Ils échangèrent un baiser tendre avant que Jennel ne se dirige vers la fenêtre. Dehors, les Survivants discutaient avec animation. Des voix s’élevaient, chargées d’ignorance, de doutes, mais aussi d’espoirs.

  ? Repose-toi, ? dit-elle en jetant un dernier regard à Alan. ? Je vais voir ce qui se passe. ?

  Elle sortit et fut immédiatement frappée par la tension palpable. Les voix étaient agitées, parfois montées. Jennel trouva un muret et s’y assit, observant les discussions chaotiques.

  Soudain, la voix de Rose domina le tumulte : ? Jennel a quelque chose à vous dire ! ?

  Tous se turent et se tournèrent vers elle. Jennel attendit un instant, puis lan?a avec un sourire : ? Je viens de mettre mon élu au lit, alors j’en profite pour dire quelques mots. ? Quelques rires étouffés apaisèrent légèrement l’atmosphère.

  ? Nous avons tous besoin de faire le point. Alan surtout. Mais nous avons aussi un besoin urgent de repos. Les gens d’ici vont apporter quelques victuailles à ceux qui en manquent. Ensuite, je vous demande de vous détendre et d’essayer de dormir. Je le demande à des amis qui m’ont accompagnée sur un long chemin, et qui sont aussi, tous, mes constants soutiens. Merci. ?

  Un murmure de gratitude traversa l’assemblée. Quelques mots discrets d’encouragement furent adressés à Jennel avant que le groupe ne se disperse, chacun jetant de temps à autre un regard vers elle.

  Le ciel était toujours d’un bleu éclatant, mais la chaleur croissante marquait ce début d’été comme un présage oppressant. Sur la colline, l’aridité devenait chaque jour plus palpable : la terre, craquelée et dure, ne retenait plus aucune humidité, et les maigres buissons souffraient sous le soleil implacable. En contrebas, la rivière qui serpentait à travers le vallon perdait peu à peu de son débit, suscitant une inquiétude croissante parmi les Survivants. Elle était leur seule source d’eau, et sa lente agonie semblait refléter celle du paysage tout entier.

  Alan se tenait devant la Source, sous bonne escorte. à ses c?tés se trouvait Jennel, soucieuse et partagée entre plusieurs émotions. Elle redoutait une mauvaise surprise qui pourrait bouleverser leur quête ou un changement trop brutal pour le groupe. Une peur plus intime la hantait : celle de perdre Alan dans ce processus mystérieux et inconnu. Mais parallèlement à ces craintes, une curiosité vive était visible dans son regard, mêlée à une détermination à comprendre et à avancer.

  Bob, Rose, Maria-Luisa, Johnny et quelques autres membres du groupe étaient là aussi. Imre était présent, accompagné d’un petit homme qui portait une grande feuille de papier froissée qu’il s’effor?ait d’aplanir avec soin.

  Alan inspira profondément avant de poser une main sur la plaque. Cela suffit : le même phénomène que la veille se produisit. Les marques apparurent à nouveau sur la surface lisse qui émettait une lueur mystérieuse.

  Le petit homme s’approcha rapidement, les yeux brillants d’émerveillement. Il se pencha sur la plaque, visiblement impressionné, et commen?a à reproduire les dessins sur le papier. Les autres tournaient autour de la scène en silence, comme de peur de rompre l’enchantement. Imre resta impassible, observant la scène avec attention, tandis que Maria-Luisa ne perdait pas Alan des yeux.

  Jennel, quant à elle, observait la plaque avec fascination.

  Elle posa ses mains sur la surface. ? La vibration est toujours là, ? murmura-t-elle. Rose l’imita, mais d’un signe de tête, indiqua qu’elle ne ressentait rien.

  Jennel observa alors le pilier qui soutenait la plaque. ? C’est étrange. On dirait une marque ronde. ? Elle caressa doucement la marque, et soudain, un petit cylindre sortit lentement du support. Elle hésita une seconde, puis le prit et le montra à tous.

  ? C’est lui qui émet la vibration, ? dit-elle en portant le cylindre à son oreille.

  ? Il faut peut-être le remettre, ? suggéra Bob.

  Jennel secoua la tête. ? Je ne pense pas. C’est comme s’il voulait qu’on le trouve. ?

  ? Que tu le trouves, ? corrigea Rose avec un sourire.

  Alan ne disait rien. Il paraissait écouter, mais son esprit semblait ailleurs. Cela dura de longues minutes, jusqu’à ce que la transcription soit terminée. Le petit homme, satisfait de son travail, rassembla ses affaires.

  L’équipe quitta le site, qui était désormais interdit aux visiteurs. La Source, pour l’instant, demeurait un mystère.

  Le retour vers le hameau fut marqué par des regards et des attitudes variées des Survivants qu’ils croisèrent. Certains étaient curieux, observant le groupe avec des yeux écarquillés, tandis que d’autres semblaient inquiets ou impressionnés par ce qu’ils avaient entendu dire. Quelques-uns étaient même exaltés, chuchotant entre eux avec enthousiasme. Mais il y avait aussi des regards distants, parfois suspicieux. Certains tentaient de s’approcher, comme poussés par un besoin irrépressible de toucher Alan ou Jennel.

  Les hommes d’Imre maintenaient une attitude ferme, repoussant doucement mais fermement ceux qui tentaient de briser leur progression. Jennel jouait distraitement avec le cylindre entre ses doigts, le faisant rouler dans sa paume. Alan, de son c?té, était silencieux, son regard perdu dans le lointain.

  ? Ma trouvaille ne semble pas t’intéresser, ? lan?a Jennel, un brin piquante.

  Alan s’ébroua, comme tiré de ses pensées.

  ? Si, bien s?r, montre-moi, ? répondit-il.

  Jennel le regarda d’un air circonspect, puis tendit le cylindre. Alan le prit et l’examina entre ses doigts.

  ? Tu as raison. C’est très faible, mais il vibre, ? admit-il.

  Jennel afficha un sourire ravi, heureuse de prouver qu’elle n’affabulait pas. ? Et il a une extrémité orange, ? ajouta Alan en observant de plus près.

  ? Oui, c’était la face externe, ? confirma Jennel.

  Plus loin sur le chemin, Maria-Luisa attira discrètement Jennel à l’écart.

  ? As-tu remarqué l’attitude d’Alan tout à l’heure ? ? demanda-t-elle, l’air intrigué.

  Jennel secoua la tête. ? Non, pourquoi ? ?

  Maria-Luisa baissa la voix.

  ? Il murmurait quelque chose. On apercevait des mouvements de lèvres. Des paroles silencieuses. ?

  Jennel fron?a les sourcils, remerciant Maria-Luisa pour l’information. Mais une inquiétude grandissante l’envahit. Elle observa Alan de loin, cherchant des signes de ce qu’elle avait manqué.

  Ils revinrent enfin au hameau. Alan semblait avoir retrouvé ses esprits, mais Jennel ne pouvait s'empêcher de repenser aux paroles de Maria-Luisa.

  Une réunion s'organisa à l'ombre, les Survivants s'éparpillèrent pour s'installer en cercle. Le croquis était étalé devant eux, les dessins hermétiques réalisés plus t?t par le petit homme fasciné.

  Tous observèrent le dessin avec incompréhension, des froncements de sourcils et des regards perplexes s'échangeant autour du cercle.

  Alan, toujours silencieux, finit par soupirer et lan?a : ? C’est la vision schématique d’un chemin. ?

  La stupéfaction était palpable. Johnny, incrédule, fut le premier à parler : ? Tu crois ? ?

  Alan hocha lentement la tête. ? On me l’a dit. ?

  Jennel se tourna vers lui, intriguée. ? Qui ? ? demanda-t-elle.

  Alan prit un moment pour réfléchir, puis, en évitant de croiser son regard, il répondit : ? La voix que je per?ois quand je suis connecté à la Source. Sans doute pas vraiment une voix... ?

  Jennel insista doucement : ? Et que dit-elle ? ?

  Alan, après une pause prolongée, dit : ? Suis seul le chemin, viens à moi car je ne peux aller à toi. ?

  Le silence retomba, lourd et réfléchi, chacun absorbant les paroles d’Alan et ce qu’elles pouvaient signifier.

  Dans la chambre sombre, Jennel était assise sur le bord du lit, les coudes posés sur ses genoux, le regard fixé sur le sol. Alan, de son c?té, était assis sur une chaise bancale, la fatigue creusant ses traits.

  ? Tu ne peux pas recommencer tout seul ce qu’on a vécu, ? commen?a Jennel, sa voix tremblant légèrement. ? Il n’y a pas de Phare à suivre. Et jouer au boyscout de l’Apocalypse… ?a suffit. ?

  Alan la regarda, le visage fermé. ? Jennel, tout ce qu’on a fait ne peut pas s’arrêter là. Tu veux qu’on attende simplement la mort dans cette vallée ? ?

  Elle releva les yeux vers lui, un éclat de colère y brillant. ? Il y a peut-être des solutions pour survivre quelque temps. Mais te perdre dans cette quête insensée ? Non. Tu crois que je pourrais vivre avec ?a ? ?

  Alan répondit, sa voix empreinte de gravité : ? Et moi, je ne supporterais pas de te voir mourir, sachant que j’aurais pu agir. ?

  Jennel se leva brusquement, son émotion la submergeant. ? Tu ne peux pas partir seul ! Si tu pars, je viens avec toi. Ou alors avec une escorte d’Imre. ?

  Alan secoua la tête, son ton calme mais ferme : ? Tu sais que c’est impossible. Cette mission est solitaire. Si je déroge à cela, tout peut échouer. ?

  Jennel serra les poings, la colère laissant place à un profond désespoir. ? Ce n’est pas juste… ? murmura-t-elle.

  Alan se leva, s’approchant d’elle avec douceur. ? Jennel… tout ce chemin qu’on a fait ensemble avait un but. Trouver une réponse. Sauver ce qui peut l’être. Mais ce but n’est pas encore atteint. ?

  Elle releva les yeux vers lui, les larmes mena?ant de couler. ? Pourquoi toi ? ?

  Il esquissa un sourire triste.

  ? Parce que moi aussi, j’ai un destin étrange. Et toi… toi aussi. En vérité, ce n’est pas seulement mon destin ou le tien. C’est le n?tre, Jennel. Celui de Jennel et Alan. ?

  Le petit groupe suivait le sentier sinueux qui gravissait la colline derrière le hameau. Alan tenait une Jennel livide par la main. Il y avait là tout le groupe des Survivants, Imre, ainsi que les membres du Conseil de Kaynak, réunis pour ce moment mémorable.

  La Source avait cessé d'être un objectif signifiant ou un objet de pèlerinage. L’accès était ouvert, mais peu s’y rendaient encore.

  Imre avait ratissé la vallée pour réunir des géographes et cartographes : il en avait ramené trois. Les dessins, autrefois hermétiques, n’étaient plus si difficiles à déchiffrer maintenant qu’on savait qu’il s’agissait d’une carte. Les points de repère stylisés avaient abandonné leurs mystères, et une ligne droite indiquait une direction unique : vers l’est, sans autre précision.

  Alan portait avec lui le petit cylindre que Jennel avait trouvé, à tout hasard. Le groupe s’arrêta enfin. Les adieux commencèrent, un à un, chacun exprimant soutien et émotion.

  Puis vint le tour de Jennel. Elle s’approcha, les larmes au bord des yeux, et Alan la serra dans ses bras longuement.

  ? Je t’aime, ? dit-elle simplement.

  Alan caressa le petit pendentif en or qu’elle lui avait offert au Nouvel An, qui contenait une minuscule mèche de ses cheveux.

  ? J’emmène un petit morceau de toi pour me porter chance. Je reviendrai, mon amour. Ne doute jamais de cela. ?

  Il s’arracha à ses bras et se précipita sur le sentier, s’effor?ant de cacher les larmes qui emplissaient ses yeux. Il gravit la pente rapidement, le c?ur lourd.

  à mi-pente, il se retourna, cherchant le regard de Jennel. Il lui fit un signe de tête et pensa : ? Oui, le second rêve est réalisé. ?

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