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Guillaume Véter regardait la bourse en toile de jute posée sur le bureau d'une chambre du chateau royal. Cet homme, la cinquantaine bien tassée, connaissait bien cette bourse.
? Des bonbons au miel… ? murmura-t-il.
Son fils lui avait apporté la bourse la veille, à moitié paniqué, balbutiant une histoire invraisemblable selon laquelle Le Borgne aurait offert les bonbons à la demande d'Anna. Le problème, c’est qu’Anna n’avait jamais rencontré Le Borgne.
? Une bien piètre menace de la part d’un contrebandier. Si c’est tout ce qu’il a en réserve, c’est minable. De toute fa?on, Le Borgne ne m’est plus utile. Je vais essayer de le remplacer à la tête de la bande. Il doit bien y avoir quelques rivaux prêts à prendre sa place. J’enverrai des hommes s’occuper de lui. ?
à part cet incident, le plan se déroulait plut?t bien. Guillaume n’avait même pas eu besoin de tuer le prince a?né, et le cadet semblait prêt à tomber dans son piège. Il ne restait plus que quelques détails à régler pour mettre fin à cette parodie de royauté.
Véter se considérait comme un patriote, et l’idée de choisir entre le psychopathe Isaac et l’incompétent Henry le révoltait. Il ne pouvait supporter un tel règne. Il avait déjà passé le règne entier de leur père à corriger les erreurs grossières de l'ancien roi, et en voyant l’évolution de ses fils, il ne voulait pas revivre pareille situation.
**Si seulement le troisième prince n’avait pas été albinos…**
Dans la tradition de l’église séraphique, les enfants atteints d’albinisme devaient rejoindre les ordres religieux. Ils formaient l’élite de la classe religieuse, et l’église avait un tel attrait pour les albinos que presque tous les évêques, cardinaux, et même les vingt derniers papes étaient albinos.
Le troisième prince n’avait pas fait exception. En tant qu’albinos de sang royal, il n’avait eu d'autre choix que d'être envoyé dans la meilleure école ecclésiastique de Balrac. Depuis, on n’avait plus de nouvelles, sauf qu'il était un très bon étudiant.
Quant à Henry, il avait également été envoyé dans une école ecclésiastique pour l’éloigner du tr?ne. Une idée de Véter qui s'était révélée être une erreur, vu les rumeurs atroces qui circulaient à son sujet.
Les réflexions de Véter furent interrompues par un coup à la porte.
? Entrez, ? dit-il en grommelant, tout en su?ant un bonbon.
Un jeune homme à la silhouette légèrement ronde entra dans la pièce. Il s’agissait d’Henry. Sa posture était pitoyable : il semblait accablé, le regard fuyant, malgré ses vêtements royaux.
**C’est inattendu… je pensais qu’il était plus solide que ?a. J’avais préparé quelques coups bas, mais apparemment, ce ne sera pas nécessaire,** pensa Véter. Il s’effor?a d'adopter un air grave.
? Que voulez-vous, Henry ? Ne pensez-vous pas que vous en avez déjà assez fait ? ? aboya Guillaume.
? J’abandonne. Je vous cède le tr?ne, ? déclara Henry d'une voix tremblante.
? Vous venez ici vous pavaner… attendez, quoi ? ?
La réaction de Véter trahit sa surprise. ? Ah, je vois que cela n’était pas dans vos plans. ? Henry suait à grosses gouttes, sa voix tremblait légèrement.
Véter resta silencieux un moment, son regard scrutateur fixé sur le jeune prince. ? Ne vous inquiétez pas, personne ne vous écoute. Vous savez aussi bien que moi que les espions et la garde royale ne sont plus ce qu'ils étaient. Personne ne vous menace. ?
? Que voulez-vous dire ? ?
? Pratiquement rien. Je vous lègue tout, sauf… ?
**Je ne m’attendais pas à ?a. Je comptais le laisser mariner pendant au moins une semaine avant de le cueillir comme un fruit m?r. Que mijote-t-il ?**
? Altesse, qu’êtes-vous en train de faire ? Pourquoi faites-vous cela ? ?
? Disons que je me suis rendu compte d'une chose : le tr?ne n’est pas fait pour moi. J’ai été dupé par un complot aussi simple. Maintenant, il n’est plus possible de revenir en arrière. Plus aucun noble ne me respecte, et le domaine royal est réduit à un pot de chagrin. ?
? Vous l’avez découvert… ?
? Ce n’était pas vraiment un secret. La couronne ne possède plus que la capitale, Zonder, comme unique domaine. ? Henry continuait de transpirer, visiblement nerveux.
Pour rembourser les dettes de la couronne, le père d’Henry, Philippe Ier, dit le Fainéant, avait vendu petit à petit les terres royales au fil des années.
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? Donc, vous me donnez tout ? ?
? Tout, non, pas vraiment. Disons une grande partie. Je garde le titre et le domaine royal ainsi que ses revenus. Vous aurez tout le reste. Et je pense que posséder une lettre du roi reconnaissant votre droit sur le comté de Lysombre pourrait vous être utile, non ? ?
Véter fron?a les sourcils. ? Je ne crois pas un mot de ce que vous dites, et le comté de Lysombre n’est vraiment pas ma priorité. Que ferais-je d'un territoire anarchique infesté de gobelins ? Vos paroles ne sont que des mensonges. ?
Malgré son apparente nervosité, Henry avait quelque chose de différent. Ce n’était pas le pervers que Véter connaissait.
? Très bien… alors, si j’abdique… ?
? Mensonges ! Sortez de ma chambre, Henry, et arrêtez avec vos affabulations ! ?
? Attendez, c’est vrai… mais à une condition. ?
? Laquelle ? ? souffla Véter, exaspéré.
L'attitude nerveuse d’Henry disparut subitement, laissant place à un sourire meurtrier et un regard per?ant. Le sourire s’effa?a rapidement, mais son regard restait gla?ant.
? Un duel. Une ordalie, si vous préférez. Je combattrai personnellement. Vous n’avez rien à perdre. Un chevalier tel que vous n’a aucune raison de refuser. Si vous gagnez, j’abdiquerai et je me retirerai dans le monastère le plus miteux du royaume. ?
? Et si vous l’emportez ? ?
**Il cache quelque chose. Un homme ne fait pas une telle promesse sans un atout certain. Mais même s’il complote quelque chose durant ce soi-disant duel, je pourrais toujours le faire passer pour un lache utilisant des ruses plut?t que son courage, et rendre sa victoire caduque.**
? Allons, duc, ne me dites pas que vous envisagez que je puisse gagner. Je ne suis qu’un homme suppliant plus sa vie qu’autre chose. ?
? épargnez-moi cela. ?
Henry posa les mains sur le bureau. ? Disons qu’un duel mettra un terme à toute cette histoire avec Anna. ?
? Henry, vous avez renoncé si vite… quel subterfuge avez-vous en tête ? Honnêtement, j’ai peur pour vous. Devenir fou si jeune… Pourquoi un tel duel ? Vous pourriez simplement abdiquer. Je vous installerai dans un monastère sans qu’il ne soit nécessaire de combattre. Il n’y a pas besoin d’actions suicidaires de ce genre. ?
? Je vous rassure, Véter, j’ai toute ma tête. ?
? Vous transpirez à grosses gouttes, votre voix tremble, votre visage trahit le stress. ?
? Je ne suis pas fou. Disons… que je ne veux pas que l'on se souvienne de moi uniquement comme du roi qui n’a régné qu’une semaine avant d'abdiquer après un procès pour viol. Je préfère partir l’épée à la main plut?t que de voir ma couronne tomber à terre. ?
? Voilà enfin un brin d’héro?sme ! Quand vous vous y mettez, ?a vous va bien. Je préfère vous voir ainsi que supplier pour votre tr?ne. ?
? J’ai fait ?a ? ?
? Non, mais je pensais que ce serait votre réaction après le procès. ?
? Quelle image avez-vous de moi ? ?
? L’image que tout le monde a. ?
? Bon… Rédigez tout cela sur papier et prouvez-moi que tout ce cinéma n’est pas simplement les gesticulations d’un fou. Et une dernière chose : je souhaite avoir le droit de décider en faveur de qui vous abdiquerez. ?
? Vous comptez vous emparer du tr?ne ? ?
? J’y ai pensé, j’avoue, mais l’Eldorien et sa clique ne me laisseront jamais faire. ?
? Oh, ?a, c’est certain. Jamais le marquis ne vous laissera faire une chose pareille, ? dit Henry, plus sérieux et résigné.
? Non. Je pensais plut?t chercher dans votre famille éloignée, ou peut-être votre s?ur… ?
? Mais les lois de succession excluent les femmes. ?
? Les lois ne sont que des lignes sur du papier, Henry. Si quelqu’un vous attaque en pleine rue avec un couteau, vous n’
allez pas lui tendre un livre pour vous défendre. Balrac vous a ramolli, altesse. ?
? Très bien, je suis ravi que nous ayons trouvé un terrain d’entente. ?
? Une dernière chose, Henry. ?
? Qu’y a-t-il, Véter ? ?
? Savez-vous pourquoi je ne vous laisse pas régner plus longtemps, hormis votre incompétence et votre problème avec les femmes, bien s?r ? ?
? ?a, je me le demande bien. ?
? Vous êtes le portrait craché de votre père. Le fruit d’un long pourrissement de la lignée des Relvar. J’ai été l’un des conseillers personnels de votre géniteur. Un homme fou, égo?ste, capable de gaspiller argent et hommes pour des futilités, alors que le royaume était au bord de la banqueroute. Il est mort en ne laissant que son titre et une montagne de dettes. C’est pour cela que je suis surpris de vous voir arborer un bijou aussi tape-à-l’?il. L’améthyste ne vous sied guère, altesse, ? dit Véter en pointant la bague au doigt d’Henry.
Henry jeta un ?il à la bague, feignant l’indifférence. ? Ah, ?a ? Je l’ai trouvée dans une bo?te à bijoux de ma mère. ?
? Menteur. Philippe n’a jamais rien offert à sa femme. ?
Henry ne répondit pas, se contentant de tourner les talons. ? Si vous n’avez plus rien à ajouter, je m’en vais. ?
Guillaume Véter le suivit du regard, réfléchissant aux paroles du jeune prince. **Quelle mouche l’a piqué ? Le tr?ne l’a-t-il définitivement fait basculer dans la folie ? Cette explication est trop simple.**
Il ouvrit un tiroir du bureau, récupéra le sac de bonbons qu’il avait rangé précédemment et en glissa un dans sa bouche, laissant le go?t du miel envahir ses papilles.
Chambre royale, chateau d’Ellipta
Henry était assis sur son lit, fixant intensément l’artefact violet dans la paume de sa main. La bague d’améthyste qu'il tenait n'était pas particulièrement belle. Elle avait un style rococo qui aurait mieux convenu à un bourgeois excentrique cherchant à impressionner qu’à un jeune roi.
? Altesse ? ?
Henry sursauta légèrement en entendant la voix du marquis Eldorien. ? Excusez-moi, marquis, j’étais dans mes pensées. Comment s’est passé l’entretien avec le duc ? ?
? Il a accepté, même si je suis certain qu’il pense que vous complotez quelque chose. Mais peu importe, l’essentiel est qu’il accepte le duel. ?
? Et avez-vous trouvé quelqu’un pour finir le travail pendant le combat ? ? demanda Henry.
? Après réflexion, je ne pense pas qu'engager un vulgaire malandrin des bas-fonds soit une bonne idée. Disons que ce n'est pas très discret, ? répondit le marquis, pesant ses mots.
Henry fron?a les sourcils et gronda : ? Je ne veux pas que vous tuiez cet enfoiré avec mon corps. ?
? Calmez-vous, altesse. Je pensais plut?t à utiliser un poison que nous appliquerions sur la lame de l’épée. Véter mourra quelques jours plus tard, se vidant de son sang, et tout le monde croira à une septicémie. Une mort à la hauteur de l’homme qu’il est. ?
Henry secoua la tête. ? La plupart des poisons sont détectables. Les gens ne sont pas stupides. Lorsqu'ils verront que j'ai une épée trempée d’un liquide étrange, ils se douteront de quelque chose. ?
? Ne vous inquiétez pas. J’ai un ami qui pourra nous procurer un poison indétectable. ?
? Le même ami qui nous a prêté l’artefact ? ? demanda Henry, le regard interrogateur.
Le marquis esquissa un sourire. ? Oui, exactement. Vous le connaissez, d’ailleurs. C’est lui qui vous a couronné. ?