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5 - Rêves Mystérieux

  Quand la soirée arriva, José sortit à nouveau sa guitare, et les discussions s’apaisèrent pour laisser place à la musique. Il joua plusieurs morceaux simples que le groupe chanta en ch?ur, l’ambiance devenant de plus en plus chaleureuse.

  Rose lan?a un regard espiègle à Alan.

  ? Tu pourrais au moins chanter quelque chose ! ?

  Alan secoua la tête, amusé mais ferme.

  ? Je crois que je vais laisser ?a aux autres. ?

  La soirée avan?ait doucement, les rires et la musique emplissant l’air marin. Le moment tant redouté par Jennel arriva enfin.

  Rose, fidèle à elle-même, prit la parole.

  ? Bien, bien ! Maintenant, place à notre soliste ! Jennel, tu nous avais promis une chanson. ?

  Jennel rougit, cherchant une issue, mais il était trop tard. Les regards se tournèrent vers elle. Alan sentit son c?ur se serrer en voyant son trouble.

  Elle se leva lentement, les mains tremblantes, puis s’approcha de José pour lui murmurer quelque chose à l’oreille. José sourit et ajusta sa guitare.

  Jennel prit une grande inspiration.

  Et elle chanta.

  Stuck on you

  Je suis accroché à toi

  I've got this feeling down deep in my soul that I just can't lose

  J'ai ce sentiment au fond de mon ame que je ne peux pas perdre

  Guess I'm on my way

  Je suppose que je suis en route

  Needed a friend

  J'avais besoin d'un ami

  And the way I feel now I guess I'll be with you 'til the end

  Et vu comme je me sens maintenant, je suppose que je serai avec toi jusqu'à la fin

  Guess I'm on my way

  Je suppose que je suis en route

  Mighty glad you stayed

  Je suis très heureux que tu sois resté

  I'm stuck on you

  Je suis accroché à toi

  à mesure que les paroles résonnaient, Alan sentit son c?ur se serrer. Chaque mot semblait destiné à lui seul. Jennel, les yeux fermés, chantait avec une émotion brute, sincère. Sa voix était extraordinaire.

  Lorsqu’elle termina, le silence tomba, lourd et plein de sens. Puis les applaudissements explosèrent.

  Jennel rouvrit les yeux et chercha Alan du regard.

  Leurs regards se croisèrent.

  Alan, bouleversé, ne put prononcer un mot.

  La soirée se termina sur ce moment fort. Chacun se retira lentement, le c?ur apaisé, avec la certitude d’être plus que des Survivants réunis par les circonstances. Ils étaient désormais un groupe d’amis, unis par un espoir commun.

  Jennel, encore toute émue, se précipita sur la plage. Sa tête lui tournait : la chanson, les applaudissements, les félicitations des uns et des autres… Tout cela formait un tourbillon d’émotions.

  Elle marcha jusqu’au bord de l’eau, le sable encore tiède sous ses pieds nus. Le ressac doux des vagues accompagnait son souffle irrégulier.

  Et elle attendit.

  Elle leva les yeux vers l’horizon, cherchant une réponse dans la mer calme.

  Le vent caressait doucement ses longs cheveux bruns, mêlant quelques mèches à l'air chargé de sel.

  Elle ferma les yeux, sentant le murmure des vagues qui effleurait ses oreilles, un souffle de mélancolie dans l’air. Puis, un frisson la parcourut, non pas à cause du vent, mais parce qu'elle sentit sa présence derrière elle. Son c?ur accéléra, comme s'il répondait à un appel invisible.

  Alan posa ses mains avec douceur sur ses épaules, les effleurant comme si elles étaient faites de porcelaine. Elle ne bougea pas, mais un sourire subtil se dessina sur ses lèvres. Lentement, il se pencha, et le monde sembla dispara?tre. Le bruit des vagues devint une simple berceuse lointaine tandis qu’il posait ses lèvres sur sa joue, juste au bord de ses lèvres, comme une promesse inachevée.

  Le temps paraissait se déchirer à cet instant, mêlant le passé, le présent, et un avenir incertain. Dans ce baiser, il y avait tout : la tendresse d’un adieu, l’espoir d’un renouveau, et la force d’un amour défiant même la fin des choses.

  Elle ouvrit les yeux, se retourna lentement, et dans son regard, il vit l'écho de l'infini. Ils étaient deux ames, perdues dans un monde en déclin, mais vivantes, vibrantes, et pour un instant éternel, invincibles.

  Leurs lèvres se rencontrèrent enfin. Quand ils se séparèrent, leurs fronts restèrent unis, leurs souffles mêlés.

  Elle recula légèrement, les yeux brillants d'une étincelle malicieuse.

  ? Alors, cette cabane dont tout le monde parle… On la visite ? ? demanda-t-elle d’une voix douce, presque un murmure.

  ? Si tu veux ?, répondit-il en riant légèrement, pris entre l’émotion du moment et l’amusement face à sa spontanéité.

  Elle leva un sourcil, inclinant légèrement la tête :

  ? Et dis-moi… le lit, il est étroit ? ?

  Il éclata de rire, un son clair et franc, qui chassa l’ambiance lourde d’un monde mourant et fit rena?tre quelque chose de vivant, de léger. Il prit sa main, la serrant doucement.

  ? Tu verras par toi-même ?, dit-il en feignant le mystère, ses yeux pétillant de défi.

  Ensemble, ils quittèrent le bord de mer, marchant à travers les dunes où le sable conservait la chaleur du jour. Chaque pas rapprochait la cabane qui se dessinait, simple et modeste, une petite structure de bois érodé par les vents marins.

  Lorsqu’ils arrivèrent, il ouvrit la porte, dévoilant l’intérieur rustique, éclairé par les derniers rayons du soleil. Elle observa la pièce, puis posa ses yeux sur le lit, certes petit, mais accueillant.

  ? Je savais que j’avais raison ?, dit-elle avec un sourire en coin.

  ? Toujours ?, répondit-il, en ignorant la signification réelle de la phrase de son amie.

  Leurs regards s’accrochèrent, suspendus dans un silence où chaque battement de c?ur résonnait comme un écho profond. Alan fit un pas vers elle, lentement, presque avec retenue. Jennel, immobile, le suivait des yeux, ses lèvres s’entrouvrant à peine, comme si elle retenait son souffle.

  Il posa une main hésitante sur sa joue, sa paume chaude contre sa peau douce. Elle ferma les yeux à ce contact, pencha légèrement la tête, invitant sans mot dire. Leurs lèvres se retrouvèrent dans un baiser doux, lent, chargé d’une émotion qu’ils n’osaient nommer.

  Jennel sentit ses doigts effleurer ses épaules, et sans un mot, Alan glissa une bretelle de sa robe, puis l’autre, le tissu soyeux tombant doucement le long de ses bras, comme une caresse. Elle frissonna légèrement, mais pas de froid, plut?t de cette chaleur naissante entre eux.

  Elle ouvrit les yeux et le regarda un instant, ses joues légèrement rosées par une timidité qu’elle ne cherchait pas à cacher. Puis, doucement, ses mains trouvèrent les boutons de la chemise d’Alan. Elles tremblaient un peu, mais elle s’appliqua à les défaire un par un, son regard captant le sien, surveillant chacune de ses réactions.

  Alan la laissa faire, ses propres mains glissant maintenant sur ses bras nus, avant de se poser sur sa taille. Lorsqu’elle fit glisser la chemise sur ses épaules, il frissonna à son tour, et leurs regards se croisèrent à nouveau, plus intenses cette fois.

  Leurs gestes restaient empreints d’une hésitation fébrile, chaque contact, chaque mouvement presque un test, une question silencieuse. Les doigts d’Alan s’attardèrent sur la courbe de son dos, tandis que les mains de Jennel parcouraient sa peau avec douceur, comme si elle voulait mémoriser chaque instant.

  Les battements de leurs c?urs s’accélérèrent, se mêlant à leurs souffles courts. Ils s’abandonnèrent alors un peu plus, leurs corps se rapprochant, leurs gestes gagnant en assurance sans jamais perdre cette tendresse attentive. Tout autour d’eux s’effa?a, ne laissant que la chaleur de leur présence, l’intensité de cet instant où l’un et l’autre se découvraient avec une infinie délicatesse.

  Le jour naissant effleurait la pièce, déposant une lueur dorée sur les draps. Il ouvrit les yeux, doucement, comme s’il craignait de briser un rêve fragile. Tout semblait irréel, suspendu. Puis il tourna la tête et la vit, allongée près de lui.

  Elle était réveillée, les yeux mi-clos, le regard perdu quelque part entre la lumière du matin et le silence apaisant de la pièce. Ses cheveux bruns cascadaient sur l’oreiller, quelques mèches tombant sur son visage. Instinctivement, il leva la main et repoussa l’une d’elles, effleurant sa peau avec une délicatesse presque hésitante. Il se souvint qu’il avait déjà fait pareil geste et craignit sa réaction.

  Elle cligna des yeux et le regarda, un éclat étrange dans ses prunelles. Pas de surprise, pas d’éclat de rire, seulement un calme profond et une étincelle qu’il ne comprenait pas.

  ? Tout va bien ? ? murmura-t-il, le ton léger, sans réellement attendre de réponse.

  Elle resta silencieuse un instant, avant de souffler, presque imperceptiblement :

  ? Je l’ai déjà vécu. ?

  Il resta figé, la main encore près de son visage. Ses mots résonnèrent comme une énigme dans l’air tranquille de la chambre.

  ? Quoi ? ? demanda-t-il finalement, sans moquerie, mais avec une curiosité sincère.

  Elle tourna à peine la tête, son regard se perdant à nouveau dans les rayons du soleil.

  ? Cette scène… toi, moi… la lumière, ta main… Tout. ?

  Quelques secondes s’écoulèrent, un temps suspendu.

  Jennel s’était assise en tailleur sur le lit. Ses mains reposaient sur ses genoux, son regard fixe, concentré. Alan l’observait en silence.

  ? Je sais, maintenant ?, dit-elle, ? qu’au moins un de mes rêves bizarres était prémonitoire. ?

  Elle hocha doucement la tête, les yeux baissés. Après un autre moment de silence, elle commen?a à parler, sa voix à peine audible :

  ? J’ai fait quatre rêves… différents. Pendant plusieurs nuits chacun, avant le jour de notre rencontre. ?

  Elle inspira profondément, comme pour rassembler ses souvenirs, et poursuivit :

  ? Le premier… C’était un chaos. Des bruits stridents, des éclairs de lumière qui m’aveuglaient, une peur viscérale qui me paralysait. Mais… il y avait aussi une détermination, quelque chose ou quelqu’un qui me rassurait, une présence que je n’arrivais pas à distinguer. ?

  Elle serra les poings, fermant un instant les yeux, avant de continuer :

  ? Le second rêve était un peu plus clair. Je voyais un paysage aride, sec. Une colline se dressait à l’horizon, et un homme montait lentement un sentier sinueux. Il était seul et je le voyais de dos. Ce rêve était empreint de tristesse, d’angoisse… un sentiment de manque profond. ?

  Alan restait immobile, ses traits figés par une attention intense. Jennel passa une main nerveuse dans ses cheveux et continua, sa voix plus fragile :

  ? Le troisième rêve… Il était… net. Mais incohérent. J’étais dans un champ labouré, avec des sillons étendus à perte de vue. Il y avait deux petits enfants avec moi… un gar?on et une fille. Ils semblaient être les miens. … Ce qui est impossible à cause des nanites. ?

  Elle marqua une pause, ses yeux embués. Sa voix trembla alors qu’elle poursuivit :

  ? L’homme est apparu, très loin, au bout d’un sillon. Les enfants ont couru vers lui en criant… “Papa”. ?

  Elle s’interrompit brusquement, la gorge nouée par l’émotion. Alan tendit la main pour effleurer la sienne, un geste silencieux de soutien. Elle avala difficilement sa salive et prit une longue inspiration avant de parler du dernier rêve.

  ? Dans le quatrième rêve… je… j’étais allongée dans un lieu étrange. Les murs étaient en bois, mais le lit était en métal, froid. Un homme était avec moi. Je ressentais… un amour profond, presque palpable. à un moment, il a levé la main et… il a repoussé une mèche de mes cheveux. ?

  Un sanglot éclata, incontr?lable, et elle cacha son visage entre ses mains.

  ? J’ai tellement voulu refaire ce rêve, murmura-t-elle. C’était si bon. Et ce matin… mon chéri… c’est devenu la réalité. ?

  Elle leva les yeux vers Alan, son regard noyé de larmes.

  ? Depuis que je t’ai rencontré, je sais que tu es l’homme de mon quatrième rêve. Mais… je voulais être s?re que ce n’était pas… une fantaisie créée par les nanites. Surtout… surtout quand j’ai vu la cabane. ?

  Alan, la gorge serrée, glissa un bras autour d’elle et la serra contre lui. Aucun mot n’était nécessaire. Les rêves de Jennel, bien que voilés de mystère, semblaient être une pièce de plus dans le puzzle de leur étrange destin.

  Jennel releva la tête, une lueur de remords dans les yeux.

  ? Pardonne-moi de t’avoir caché ces rêves, ? murmura-t-elle.

  The tale has been stolen; if detected on Amazon, report the violation.

  Alan posa une main réconfortante sur sa joue. ? Jennel, c’était peut-être mieux ainsi. Si je l’avais su, cela aurait changé beaucoup de choses. Tout s’est passé naturellement, comme il le fallait. ?

  Elle esquissa un sourire timide. ? Naturellement… vraiment ? ?

  Il se mit à rire doucement. ? Si je l’avais su, je n’aurais pas eu besoin de te séduire, mon amour. ?

  Jennel lui donna une légère tape sur l’épaule. ? Tu rigoles ! C’est moi qui t’ai séduit. ?

  Ils éclatèrent de rire ensemble, le son résonnant comme une mélodie dans la cabane. Alan l’attira contre lui, leurs rires s’évanouissant dans un baiser tendre. Le temps semblait s’être figé pour eux, et l’heure du départ du groupe leur parut soudain bien lointaine.

  Une éternité plus tard :

  ? On devrait peut-être se lever… ?

  Ils s’habillèrent à la hate, se croisant et se fr?lant dans l’étroitesse de la chambre. Une chemise mal boutonnée, un jean attrapé à l’envers — leurs gestes étaient rapides mais maladroits, ponctués de petits éclats de rire étouffés.

  ? Tu es encore plus lent que moi ?, taquina-t-elle en tirant sur le col de sa veste.

  ? Parce que tu m’observes ?, répliqua-t-il en riant, tout en cherchant désespérément ses chaussures.

  La douche de fortune bricolée par Alan fut rapide, presque expédiée, mais les éclats d’eau et les rires se mêlèrent, éclaboussant les murs comme autant d’instants volés au quotidien. Ils sortirent finalement, leurs cheveux encore humides, et se pressèrent vers la porte.

  Jennel fit quelques pas, puis se figea soudain. Elle regardait son ami, les yeux agrandis de stupeur.

  ? Je vois ton Spectre ! ?, s’écria-t-elle.

  ? C’est surprenant ! Et hier ? ? demanda Alan, surpris, en connaissant déjà la réponse.

  ? Non, je ne le voyais pas quand tu m’as rejointe sur la plage. ?

  ? Il s’est peut être passé quelque chose cette nuit,? avan?a-t-il avec un sourire entendu.

  ? Bon, on sait comment traiter ce genre de problème. ? conclut-elle, hilare.

  Lorsqu’ils rejoignirent leurs compagnons, debouts en cercle autour d’une table en bois surplombée de tasses de café presque froides, des regards complices les accueillirent. Johnny, avec un sourire moqueur, leur lan?a :

  ? On pensait presque que vous aviez décidé de nous abandonner. ?

  ? Désolés ?, répondit-elle avec une fausse mine coupable. ? On a… tra?né un peu. ?

  Les rires éclatèrent, chaleureux et sans jugement. Ils s’installèrent à leur tour, les joues légèrement rosies, mais leurs regards disaient tout : ces instants, n’appartenaient qu’à eux.

  JENNEL 99.

  Je n'ai rien écrit hier. Ce n'est arrivé qu'une seule fois auparavant. Mais hier, j'étais très occupée avec mon homme. Je vais éviter d’écrire les détails.

  Je l'adore, et je ne crains pas de l'écrire.

  Je lui ai tout dit à propos de mes rêves. Il n'a pas été faché de mes cachotteries.

  Il a dit que c'était mieux que ?a se fasse naturellement. Je ne veux pas le contredire, mais je ne vois pas grand-chose de naturel dans notre amour.

  Mais je m'en fiche, ce n'est pas l'important.

  Ce jour-là, la journée était accablante. La chaleur étouffante s’alliait à un ciel orageux, zébré de nuages lourds qui ne semblaient pourtant pas vouloir libérer la pluie. Le soleil brillait d’une lumière crue, intensifiant chaque détail du paysage. Michel, avec son pragmatisme habituel, avait suggéré de ne marcher que le matin. La fatigue accumulée que les nanites n’évacuaient pas complètement et la promesse d’une chaleur encore plus oppressante dans les heures suivantes l’avaient convaincu que c’était la meilleure option. Depuis quelques jours, ce rythme s’était imposé à eux, une stratégie nécessaire en ce mois de juin où chaque après-midi était un défi. Leur destination était Avignon, une ville qui, malgré la Vague, avait conservé une partie de son aura.

  Depuis plusieurs jours, Alan remarquait un élément troublant : pas de Spectre à l’horizon. Cela l’inquiétait autant que cela le soulageait. L’absence de ces visions étranges était inhabituelle, presque contre nature. étrange. Pourtant, il n’avait rien partagé de ses réflexions à Jennel ou aux autres. Pas encore.

  Dans la seconde moitié de l’après-midi, après un moment de repos bienvenu, Jennel et Alan avaient décidé de visiter le Palais des Papes, monument mythique dont Jennel avait toujours entendu parler mais qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de voir de ses propres yeux. En arrivant devant l’édifice, ils avaient remarqué que la place était étrangement vide. Aucun cadavre ne jonchait les abords : la Vague avait frappé un jour de fermeture, et ce détail, bien qu’anodin, leur évoqua une sorte de trêve silencieuse. Mais ils purent néanmoins y entrer.

  Le Palais des Papes, imposant et majestueux, les séduisait par sa silhouette austère et ses murailles crémeuses, marquées par les siècles. Jennel et Alan s’étaient avancés dans la vaste cour d’honneur, leurs pas résonnant légèrement sur les pavés usés par des générations de visiteurs.

  ? Regarde comme c’est énorme... On se sent si petits ici, ? murmura Jennel, levant les yeux vers les hautes tours qui dominaient la cour.

  Alan hocha la tête, observant les détails des fenêtres gothiques et les créneaux acérés. ? Oui, mais tout ce vide... C’est presque oppressant, tu ne trouves pas ? ?

  Ils étaient entrés par l’immense portail en bois, ses ferrures anciennes étincelant sous la lumière oblique du soleil. L’air était plus frais, même en cette journée lumineuse, et chaque recoin du palais semblait murmurer des secrets oubliés. Les immenses salles intérieures, ornées de fresques écaillées et de plafonds vo?tés, amplifiaient leurs voix lorsqu’ils parlaient.

  ? Tu penses qu’ils tenaient des banquets ici ? ? demanda Jennel, s’arrêtant au centre de la salle du Consistoire. Ses yeux balayèrent les murs épais, sur lesquels subsistaient quelques fragments de peintures.

  ? Probablement, ? répondit Alan, pensif. ? Mais imagine toute la politique, les intrigues... Cet endroit a d? être un vrai nid de vipères. ?

  Elle esquissa un sourire, amusée par le commentaire. ? Je me demande si on ressent encore tout ?a. Tu sais, comme si les murs eux-mêmes étaient imprégnés de ce qui s’est passé. ?

  Plus tard, ils avaient atteint la terrasse surplombant la ville. Le Rh?ne scintillait au loin, bordé de toits ocres et de ruelles sinueuses. Jennel s’était accoudée au parapet, les cheveux balayés par une brise légère.

  ? C’est beau, ? dit-elle simplement, la voix teintée de mélancolie. ? Mais c’est aussi si calme maintenant... Trop calme. ?

  Alan la rejoignit, posant une main sur son épaule. ? Oui. On dirait que le monde est en train de retenir son souffle. Mais il y a encore des endroits comme celui-ci pour nous rappeler ce qu’était la grandeur humaine. ?

  Ils étaient restés là un moment, à contempler la vue et à laisser leurs pensées errer parmi les ombres du passé.

  En quittant le Palais, Alan partagea finalement sa légère appréhension. ? Cette absence de Spectre... ?a me perturbe. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne peux pas m’empêcher d’y penser. ?

  Jennel tourna la tête vers lui, souriante. ? Alan, il y a tellement peu de Survivants maintenant. Peut-être que c’est juste ?a. Une co?ncidence. ?

  Il fron?a les sourcils, pensif. ? Peut-être. ?

  ? Tu sais, je ne suis pas aussi bon que toi pour interpréter ces Spectres. Je vois les couleurs, je ressens quelque chose, mais c’est encore un peu flou pour moi. ?

  Elle haussa un sourcil, amusée. ? Ah, tu l’admets ! C’est vrai que j’ai eu plus d’occasions de fréquenter d’autres Survivants que toi. ?

  Alan lui lan?a un regard complice.

  ? Alors aide-moi. Liste-les pour moi, ces couleurs, et ce qu’elles signifient. ?

  Jennel s’arrêta un instant, réfléchissant. ? D’accord, mais écoute bien. Rouge, c’est évident, c’est l’agression, la colère, mais parfois c’est aussi une forme de passion incontr?lée. Orange, c’est plus ambigu. ?a peut montrer une excitation nerveuse ou une intention incertaine, quelque chose qui vacille entre l’action et l’hésitation. Jaune, c’est la joie, oui, mais aussi une ambition calculée. Une intention optimiste mais parfois intéressée. ?

  Alan, intrigué, hochait la tête, enregistrant chaque détail.

  Jennel poursuivit : ? Vert, c’est souvent l’espoir, comme je te l’ai déjà dit, mais il faut nuancer. Un vert clair, c’est un espoir na?f. Un vert plus sombre, c’est une résolution, une intention ferme mais teintée de prudence. Le bleu, lui, peut être la tristesse, oui, mais aussi une forme de calme profond, voire une répression des émotions. Violet, c’est fascinant : le mystère, mais aussi une forme de respect mêlé de distance, ou même une fascination obsessionnelle dans certains cas. Et enfin, il y a le noir... ?

  Alan fron?a les sourcils. ? Noir ? Je ne l’ai jamais vu. ?

  Jennel le regarda avec gravité. ? Le noir, c’est le néant. L’absence totale d’intention ou une hostilité si pure qu’elle ne laisse rien transpara?tre. C’est rare, mais si tu le vois un jour, méfie-toi. ?

  ? Tu l’as déjà vu ? ? demanda-t-il avec appréhension.

  ? Une fois, pendant une seconde chez un homme. ? dit-elle, subitement plus grave.

  ? Et alors ? ?

  La réponse tomba comme un couperet.

  ? Je l’ai tué. ?

  Un silence.

  Il prit une profonde inspiration. ? Merci. C’est plus clair maintenant. ?

  Le sourire revint lentement sur le visage de la jeune femme.

  ? Alors, 50 euros pour ce cours particulier, ?a te va ? ?

  Alan sourit en secouant la tête. ? Pas d’argent sur moi. Mais je peux te payer en nature. ?

  Elle le regarda, un sourire malicieux au coin des lèvres.

  ? Je vais réfléchir à ce que je veux, alors. ?

  Ce soir-là, le camp s’était installé t?t, à l’ombre d’un petit bois de peupliers. Les arbres, hauts et élancés, formaient une canopée mouvante sous la brise qui soufflait doucement depuis le Rh?ne. Le bruissement des feuilles créait une mélodie apaisante, presque hypnotique, tandis que les ombres projetées par les derniers rayons du soleil dansaient sur le sol inégal. La chaleur de la journée s’était adoucie, laissant place à une tiédeur agréable, mais lourde, chargée de l’électricité d’un orage imminent.

  Non loin, le Rh?ne reflétait les nuances du crépuscule, ses eaux sombres parcourues de scintillements dorés. Par moments, une vague plus forte frappait doucement la berge, ajoutant une note grave à l’atmosphère. Au loin, les montagnes commen?aient à s’obscurcir, englouties par les nuages d’orage qui se rapprochaient lentement. Des éclairs lointains illuminaient par intermittence l’horizon, dessinant des silhouettes éphémères sur la crête des reliefs.

  Les tentes avaient été installées au hasard, certains préférant se rapprocher du Rh?ne pour capter la fra?cheur de l’eau, d’autres restant à l’abri des arbres. L’air portait une odeur de terre chaude, mêlée à celle des feuilles sèches, typiques de la sécheresse ambiante. Le groupe avait allumé un feu discret, limité à une faible flamme pour éviter tout risque d’incendie. Tous s’étaient regroupés autour, échangeant des murmures apaisés.

  L’orage restait mena?ant à l’horizon, ses nuages noirs dominants mais immobiles. Bien que la pluie ne f?t pas encore imminente, le groupe savait qu’elle finirait par arriver, apportant avec elle un répit bienvenu pour la terre asséchée.

  Le repas s’était étendu dans une atmosphère paisible, les conversations entrecoupées de rires et de réflexions sur la journée. Lorsque Alan s’était levé pour demander la parole, Jennel avait levé les sourcils, surprise par son initiative. Michel, en revanche, n’avait montré aucune réaction, comme s’il s’y attendait. Alan prit une profonde inspiration avant de s’exprimer.

  ? Il était prévu, comme à l’accoutumée, que nous tentions de rallier d’autres Survivants dans la région, malgré les dangers que cela implique. Cependant, après plusieurs jours d’observation, je peux confirmer qu’il n’y en a aucun à proximité. Cela règle donc la question pour l’instant. ?

  Il se tourna ensuite vers Rose, lui demandant si les ressources disponibles suffiraient à subvenir aux besoins d’un plus grand nombre. Rose, visiblement pensive, répondit après un court silence :

  ? C’est déjà difficile. Les recherches prennent de plus en plus de temps. Si le groupe s’agrandit, cela deviendra problématique. ?

  Alan hocha la tête, prenant en compte sa réponse, avant de reprendre la parole.

  ? Dans ce cas, je propose que nous abandonnions cette pratique. Le temps investi dans ces recherches pourrait être mieux utilisé pour progresser et récupérer.?

  Un murmure parcourut le groupe, mais avant que les discussions ne s’échauffent, Michel intervint calmement :

  ? C’est un point valide. Il est vrai que le temps pris pour les vivres devient de plus en plus important. J’appuie la proposition d’Alan. ?

  Les deux hommes échangèrent un sourire entendu, renfor?ant la crédibilité de leur suggestion.

  ? Que ceux qui sont d’accord lèvent la main.? demanda Michel.

  A deux exceptions près, toutes les mains se levèrent.

  Alan poursuivit alors sur un autre sujet.

  ? Nous savons tous que la direction du Phare est connue, mais pas sa localisation exacte. Je propose que nous empruntions une route plus au nord, éloignée du chemin direct. De cette manière, nous pourrions intersecter deux lignes de visée et déterminer où il se trouve exactement. Cela permettrait aussi de savoir s’il indique un point en Italie ou plus loin, peut-être en Inde, ce que personne ne souhaite. Compte tenu de la courbure de la Terre, il est probable que le Phare désigne un point à la verticale. ?

  Les paroles d’Alan provoquèrent une vague de questions et de commentaires dans le groupe. Certains soulignèrent que cette route allongerait le trajet, mais cela ne semblait pas ébranler la tendance générale : la curiosité et le besoin de certitude dominaient. Bob prit la parole pour confirmer l’impact logistique, ajoutant que cette décision demanderait une organisation rigoureuse. Michel, quant à lui, était resté silencieux, écoutant attentivement les prises de position.

  Enfin, Michel se leva et annon?a : ? Je suis neutre sur cette question. Nous allons procéder à un vote. ?

  Jennel proposa que le vote se fasse à bulletins secrets, une idée qui fut acceptée sans discussion. On distribua rapidement des morceaux de papier récupérés parmi les provisions, ainsi que des bouts de charbon pour écrire. Les membres du groupe inscrivirent leur choix, puis glissèrent les bulletins dans une casserole en métal qui servait d’urne improvisée. Une fois tous les votes récoltés, Michel compta les voix sous le regard attentif des autres.

  à une large majorité, la route du Nord fut choisie. Michel se leva, balayant le groupe de son regard calme, et conclut : ? Je prends note. Il reste à définir la route. ?

  Ainsi se termina ce que Rose, qui a le sens de la formule, appellera ? Le Concile d’Avignon ?.

  Mais la soirée continua avec une réunion restreinte où Michel, Alan, Jennel, Rose, Bob et quelques autres participèrent.

  Michel y annon?a qu’il avait rencontré Alan peu avant son intervention et que celui-ci lui avait demandé s’il était judicieux dans l’intérêt du groupe qu’il fasse une proposition qui risquait de contrarier ses projets. ? Je lui ai donné mon feu vert, ? assura Michel.

  Le changement brutal de statut d’Alan était visible dans les comportements. Bien qu’il s’agissait de ? propositions ?, il était clair qu’il avait un peu for?é la décision. Jennel ne disait rien mais serrait son bras avec fermeté, l’air impassible.

  Alan proposa de partir vers l’est pour franchir les Alpes en remontant la Durance. Il demanda à Bob de constituer une équipe pour tracer une route au meilleur profil. Bob accepta et présenta une liste de noms qu’il justifia un par un :

  ? D’abord, Marie. Elle a une excellente connaissance du terrain, surtout en montagne, grace à son expérience dans les sports de plein air avant la Vague. Ensuite, Thomas. Il est très réactif face aux imprévus et a l’habitude de planifier des itinéraires complexes. Puis Jeanne, car elle a un bon sens de l’orientation et une capacité naturelle à garder son calme en situation tendue. Enfin, Léo, pour sa force physique et son habileté à transporter des charges lourdes si nécessaire. ?

  Alan fit de même avec Rose pour les points d’approvisionnement, en précisant que les deux équipes devaient travailler ensemble.

  Michel, après un long silence, remercia Alan d’un ton mesuré. ? Merci pour ton implication, ? dit-il avec une réserve palpable.

  Chacun retourna ensuite vers sa tente, sauf Bob et Rose qui restèrent pour constituer leurs équipes respectives.

  Jennel, dans l’ombre, murmura à Alan : ? Tu as terminé ton petit coup d’état, mon chéri ? ?

  Alan esquissa un sourire discret. ? Oui. ?

  Elle hocha lentement la tête. ? Cela devait sans doute être fait. Mais tu as oublié d’en parler à ta copine. Et tu vas avoir droit à son air bougon. ?

  à peine Alan et Jennel furent-ils abrités sous leur tente que l’orage éclata avec une violence inou?e. Le vent hurlait à travers les arbres, secouant la toile comme si elle allait se déchirer. La pluie, d’abord fine, se transforma en un déluge, martelant le sol et formant rapidement des flaques qui reflétaient les éclairs zébrant le ciel. Le tonnerre grondait si fort qu’il semblait venir des entrailles de la Terre, chaque détonation résonnant dans leurs poitrines.

  Jennel, d’abord bougonne, perdit toute trace de contrariété. Elle se blottit contre Alan, leurs respirations se calant l’une sur l’autre. ? C’est... terrifiant, ? murmura-t-elle, son regard fixé sur l’ombre mouvante des branches projetée par la lueur des éclairs.

  Alan serra son épaule avec douceur. ? ?a va passer. Tiens bon. ?

  Ils restèrent immobiles, à l’aff?t, guettant chaque accalmie qui ne venait pas. Les minutes s’étirèrent, les grondements du tonnerre se succédant sans répit. Le temps semblait suspendu, étouffé par la fureur des éléments.

  Enfin, après une heure qui parut une éternité, l’orage commen?a à faiblir. Le vent s’apaisa, la pluie devint un simple murmure sur la toile de la tente, et le silence reprit peu à peu ses droits, seulement troublé par quelques gouttes résiduelles.

  Jennel, les yeux mi-clos, murmura : ? C’était comme si le monde voulait s’effondrer une fois encore. ?

  Alan déposa un baiser sur son front. ? Mais il est toujours là, et nous aussi. Repose-toi maintenant. ?

  Dans la douceur retrouvée de la nuit, ils s’endormirent enfin, épuisés mais soulagés.

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