La fouille du village fut brève et inefficace. La supérette était presque vide, pillée depuis longtemps. Seule la quincaillerie semblait avoir échappé au saccage.
L’intérieur était sombre, mais relativement intact. Ils trouvèrent des outils, des cordes, quelques vêtements de travail, et des bo?tes de conserve rouillées dans un coin poussiéreux.
? Pas grand-chose, mais mieux que rien ?, déclara Yann en chargeant le chariot avec des cordes et des outils.
Une fois leur maigre butin sécurisé, ils prirent le chemin du retour.
Le camp les accueillit avec un calme trompeur. Pourtant, les bonsoirs furent plus amicaux qu’Alan ne l’aurait pensé. Il sentait les regards posés sur lui, comme si son statut au sein du groupe venait de changer.
Une inquiétude sourde montait en lui. Que raconterait Rose à Jennel ?
Il déploya sa tente avec des gestes rapides, concentré sur la tache pour calmer son esprit. Une fois la tente montée, il s’assit à l’intérieur, mangeant un repas frugal.
Alors qu’il finissait, une silhouette s’approcha : Jennel.
Alan releva la tête en voyant Jennel s'approcher. Elle portait la même petite jupe en jean et le t-shirt noir de la veille, mais cette fois, elle tenait deux bo?tes de fruits au sirop dans les mains.
? Je pensais que tu aurais besoin de dessert ?, dit-elle avec un sourire léger.
Alan sourit à son tour, mais son attention se porta rapidement sur les bo?tes métalliques.
? Tu as un ouvre-bo?te ? ? demanda-t-il.
Jennel secoua la tête, l'air amusé. ? Non. Mais je compte sur toi pour trouver une solution. ?
Alan inspecta les bo?tes, cherchant une ouverture facile, mais elles étaient parfaitement scellées. Il fouilla dans sa poche et sortit un couteau multifonction, dont la lame avait vu de meilleurs jours. Il essaya de percer le couvercle, mais la lame glissa, manquant de peu de lui entailler la main.
? Attention ?, murmura Jennel en se penchant pour mieux voir.
Ils tentèrent plusieurs méthodes, utilisant des pierres, une vieux tournevis rouillé qu’Alan avait dans sa poche, et même le manche de son couteau. Après plusieurs minutes d’efforts infructueux, Alan soupira.
? On dirait que les bo?tes de conserve nous résistent. ?
Jennel haussa les épaules. ? Ce n’est pas grave. On finira bien par les ouvrir. ?
Après encore quelques essais, Alan parvint finalement à perforer le métal, un mince filet de sirop s'écoulant le long de la bo?te.
? Pas très élégant, mais ?a fera l'affaire. ?
Jennel tendit une main pour récupérer la bo?te. ? Merci. ?
Ils mangèrent en silence pendant un moment, savourant le go?t sucré des fruits. Le calme était apaisant, mais Alan sentit que Jennel l’observait avec une intensité inhabituelle.
? Ma blessure est guérie ?, dit-elle en tendant son pied pour lui montrer. ? Les nanites ont fait leur travail. ?
Alan hocha la tête, mais il restait visiblement préoccupé.
? Quelque chose ne va pas ? ? demanda Jennel.
Alan hésita. ? Je suppose que tu sais ce qui s’est passé au village. ?
Jennel hocha lentement la tête. ? Rose m’a tout raconté. ?
Alan baissa les yeux, triturant le manche de son couteau.
? J’ai tué cet homme. Et le pire, c’est que je ne ressens rien. Pas de culpabilité. Juste… de la froideur. ?
Jennel posa doucement sa main sur la sienne. ? Tu ne l’as pas fait par plaisir. Tu l’as fait parce que tu devais le faire. Il t’aurait tué, sinon. ?
Alan releva les yeux vers elle, cherchant une explication.
? Mais ?a n’explique pas pourquoi je suis si… calme. Je m’attendais à être bouleversé. ?
Jennel le regarda avec une gravité nouvelle. ? Parce que nous avons changé, Alan. Les nanites ne nous ont pas seulement rajeunis ou renforcés physiquement. Ils ont modifié quelque chose en nous. Notre capacité à gérer les situations extrêmes, peut-être. Ou simplement notre instinct de survie. ?
Alan se redressa légèrement. ? Tu crois vraiment que c’est ?a ? ?
Jennel acquies?a. ? Oui. Je l’ai ressenti moi aussi. Quand j’ai d? poignarder cet homme dans le supermarché, je m’attendais à être hantée par son visage. Mais non. Ce n’est pas de l’insensibilité, Alan. C’est une manière de continuer à vivre, malgré tout. ?
Alan sentit un poids se dissiper légèrement de ses épaules.
? ?a fait du bien de l’entendre. Je commen?ais à penser que j’étais… ?
Jennel sourit doucement.
? Que tu étais devenu un monstre ? Non. Tu es humain. Plus que jamais. Et tu veux savoir pourquoi ? ?
Alan hocha la tête.
Jennel le fixa droit dans les yeux. ? Parce que tu te poses la question. Ceux qui deviennent vraiment des monstres ne se demandent jamais si leurs actes sont justifiés. ?
Le silence retomba, mais cette fois, il était plus apaisant. Jennel s’appuya contre le tronc d’arbre à c?té de la tente, observant le camp endormi.
? On est peut-être les derniers humains, Alan. Mais ?a ne veut pas dire qu’on doit perdre notre humanité. ?
Alan hocha la tête, les mots de Jennel résonnant en lui.
? Merci ?, murmura-t-il.
Jennel sourit. ? De rien. Et la prochaine fois, essaie de trouver un ouvre-bo?te. ?
Après un moment de silence, Jennel se redressa.
? Bonne nuit ?, dit-elle doucement, un sourire sincère éclairant son visage.
Alan la regarda s’éloigner vers sa propre tente, ses pas légers dans l’herbe. Il resta assis, immobile, écoutant le bruissement des feuilles sous le vent nocturne.
Ce simple ? bonne nuit ? avait fait na?tre une chaleur inattendue en lui.
C’est à cet instant qu’il comprit à quel point la présence de Jennel lui était devenue indispensable. Non seulement son calme et ses paroles apaisantes, mais aussi sa manière d’être, de le comprendre sans le juger.
Pourtant, le sommeil ne venait pas. Il resta allongé, les yeux grands ouverts, perdu dans ses pensées. La nuit s’étirait, silencieuse, tandis qu’il revoyait le sourire de Jennel illuminer les ténèbres.
JENNEL, 93.
Comme je l'avais décidé, je me suis excusée auprès d'Alan. Je suis allée trop loin dans mes confidences.
Il réagit quand même de manière étrange. Tant?t ironique, tant?t gentil, un rien dragueur parfois. Ou alors c'est moi qui affabule ? Peut-être que je commence à voir des signes qui n'existent pas.
Je le trouve sympathique, malgré tout.
Il peut être courageux et implacable. Rose en a été impressionnée, et pour impressionner Rose, ce n'est pas simple. Mais je ne veux pas me faire de cinéma. C'est si facile de s'inventer des histoires dans un monde où il ne reste plus grand-chose pour égayer nos journées.
Et puis cette question sur l'amour... Une question indiscrète, vraiment. Mais j'ai répondu, presque sans réfléchir.
? Ce n’est pas une question de droit. C’est une question de vie. ? Que voulait-il dire par là ? J’essaie d’y croire, mais quelque chose bloque en moi. Un refus, presque instinctif. Je ne peux pas y adhérer totalement.
Pourtant, quelque part au fond de moi, je sens qu’une lueur persiste. Fragile, vacillante, mais bien présente.
Cela m’inquiète.
Le groupe reprit sa marche à un rythme régulier, mais Alan sentait la fatigue mentale s’accumuler.
Jennel partit en patrouille avec les autres, bien que cela lui semblat inutile : Alan, grace à son don, percevait parfaitement les intentions des êtres humains dans un large périmètre.
? Il faut garder les bonnes habitudes ?, avait insisté Michel, qui voyait dans les patrouilles un moyen de maintenir la discipline et la vigilance du groupe.
Alan n’avait pas contesté, bien qu’il considérait cela comme une perte d’énergie.
Il observait discrètement Jennel quand elle était au campement. Elle paraissait concentrée, mais ses yeux se posaient sur lui à chaque occasion.
Le soir venu, Michel convoqua une réunion pour discuter de la suite de leur itinéraire. Alan fut invité à y participer. Autour du feu, il retrouva Jennel, Bob, Johnny, Rose, Yann, et deux autres femmes qu’il identifia rapidement comme faisant partie de la patrouille d’avant-garde : Sophie, une trentenaire aux cheveux chatain clair, et Carmen, une femme plus jeune à l’allure austère.
Michel déplia une carte grossièrement annotée et désigna plusieurs points le long de leur route.
? Nous devons faire des choix pour les prochains jours. Il reste des zones à explorer ici, ici et là. ? Il montra plusieurs villages et hameaux.
? Mais nous devons aussi avancer vers le sud-est. ?
Rose prit la parole.
? Il faut penser aux provisions. Si nous trouvons des ressources dans des endroits isolés non encore visités près de la c?te, cela pourrait nous donner un avantage pour l’avenir. ?
Alan observa la carte avec attention.
? Par où devons-nous passer pour atteindre la mer Méditerranée ? ? demanda-t-il.
Michel tra?a une ligne avec son doigt. ? Par Montpellier. ?
Alan fit une légère grimace. Il aurait préféré éviter les grandes villes et descendre directement vers la c?te, là où les zones rurales offriraient moins de rencontres.
Il ne dit rien, mais Jennel ne le quittait pas des yeux. Ses prunelles sombres semblaient sonder ses pensées, comme si elle devinait ses réserves.
Alan se redressa légèrement, croisant furtivement son regard. Jennel haussa un sourcil, un sourire imperceptible jouant sur ses lèvres. Elle semblait avoir compris, sans qu'il ait besoin de parler.
Après le repas du soir, le camp s’installa dans une tranquillité apparente. Pourtant, l’ambiance était lourde. Les réserves de nourriture commen?aient à s’épuiser, et les discussions autour du feu devenaient plus brèves, plus tendues.
Rose, visiblement préoccupée, échangea longuement avec Jennel, parlant à voix basse. Alan les observa de loin, intrigué. Lorsque Rose s’éloigna enfin et rejoignit Michel, il s’approcha de Jennel.
Jennel le regarda arriver, un léger sourire en coin.
? Je me demande ce que Rose va raconter à Michel. ? dit-il.
Jennel haussa les épaules. ? Rien de plus que ce que tu n’as pas dit à la réunion. Elle s’inquiète de nos réserves. Elle veut passer par des zones plus à l’écart où on pourra trouver de quoi tenir. ?
Alan sortit une petite barre de chocolat de sa poche et la tendit à Jennel. ? Tiens. ?a te remontera le moral. ?
Les yeux de Jennel s’illuminèrent. ? Du chocolat ? Sérieusement ? Tu gardais ?a pour toi ? ?
Alan haussa les épaules, amusé. ? Il fallait bien une occasion spéciale. ?
Ils mangèrent le chocolat ensemble, un silence complice s’installant entre eux. Puis Alan se tourna vers elle, son regard plus sérieux.
? Jennel… je ne fais que penser à toi. Depuis que je t’ai rencontrée, tu comptes de plus en plus. ?
Jennel resta figée un instant, surprise par ses paroles. Elle baissa les yeux, cherchant ses mots.
? Alan… tu es un ami très cher. Vraiment. Mais… je n’arrive pas à dépasser ce stade. ? Elle marqua une pause, sa voix plus hésitante. ? Peut-être… plus tard. ?
Alan hocha lentement la tête, respectant ses hésitations. Mais un geste instinctif le poussa à tendre la main et à repousser doucement une mèche de cheveux tombée sur le visage de Jennel.
Elle resta pétrifiée par ce geste de tendresse, ses yeux écarquillés.
? Non… ce n’est pas possible ?, murmura-t-elle, comme si elle se parlait à elle-même. ? Je ne comprends pas. ?
Et avant qu’Alan ne puisse répondre, Jennel se leva brusquement et s’éloigna dans la nuit.
Alan resta là, désemparé, le c?ur battant, ses doigts encore imprégnés de la douceur de cette mèche de cheveux.
La journée suivante fut étrangement longue et pesante. Alan avan?ait aux c?tés du groupe, mais son esprit était ailleurs. Le poids de la décision qu’il savait inévitable le hantait. Rester ou partir ? Il ne pouvait plus repousser cette question. Laquelle des deux options était la moins insupportable ?
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S’il restait auprès du groupe, il devrait accepter une vie où Jennel n’éprouvait pas les mêmes sentiments que lui. Une vie où chaque regard échangé, chaque moment partagé, serait un rappel douloureux de ce qu’il désirait sans pouvoir l’obtenir. Il serait condamné à un amour non réciproque, une blessure permanente qu’il devrait apprendre à masquer.
Mais partir signifiait renoncer à elle. Abandonner ce lien précieux, fragile, qui s’était tissé entre eux. Partir, c’était aussi s’exposer à l’inconnu, à une solitude dévastatrice. Il serait livré à lui-même dans un monde perdu, sans le réconfort de sa présence, sans les échanges qui lui donnaient une raison de continuer.
Rester serait une torture quotidienne.
Partir serait un déchirement définitif.
Alan se remémora les moments passés avec Jennel. Son sourire léger, ses regards furtifs, son rire discret. Chaque détail semblait gravé dans son esprit. Il se demanda combien de temps il pourrait supporter de rester à ses c?tés sans sombrer dans le désespoir. Combien de nuits pourrait-il passer à rêver de ce qui ne serait jamais ?
Mais en même temps, la pensée de la laisser derrière lui le terrifiait. Il savait qu’il avait besoin d’elle, même si cet amour restait à sens unique. Sa présence apaisait ses tourments, et il ne pouvait imaginer un avenir sans elle.
Le dilemme le rongeait. Chaque pas sur la route devenait plus lourd, chaque échange avec les autres plus distant.
Au fond, il savait qu’aucune des deux options ne le rendrait heureux. Mais il devait choisir laquelle serait la moins horrible. Et cette décision pesait sur lui comme un fardeau insurmontable.
Quand le campement s'installa, Alan se dirigea vers Michel. Il trouva ce dernier en train d’organiser les tours de garde pour la nuit.
? Michel, je dois te parler ?, dit Alan d’un ton calme mais ferme.
Michel releva la tête, intrigué.
? Bien s?r. Qu’est-ce qu’il y a ? ?
Alan inspira profondément. ? Je pars demain. Je vais suivre ma propre route. ?
Michel fron?a les sourcils. ? Tu veux partir ? Pourquoi ? On a besoin de toi ici. ?
? C’est une décision que j’ai prise ?, répondit Alan avec détermination. ? J’ai mes raisons. ?
Michel tenta de le convaincre de rester. Il parla des dangers de voyager seul, du soutien que le groupe pouvait lui apporter. Mais rien ne sembla ébranler la résolution d’Alan.
? Merci pour tout, Michel. ?
Michel soupira, résigné. ? Bonne chance, alors. J’espère que tu trouveras ce que tu cherches. ?
Plus tard dans la soirée, alors que le campement sombrait peu à peu dans le silence, Jennel apparut devant Alan. Elle semblait troublée, ses pas rapides trahissant son agitation. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, elle planta son regard dans le sien, mélange de tristesse, de colère… et peut-être de désespoir.
? Tu pars ? ? lan?a-t-elle, essoufflée.
Alan hocha la tête, évitant son regard.
? Pourquoi ? ? Jennel avan?a d’un pas, son ton oscillant entre l’incrédulité et la fureur. ? Pourquoi partir alors que le groupe est là ? Alors que je suis là ? ?
Alan resta silencieux. Elle continua, sa voix tremblante.
? C’est égo?ste, Alan. Tu sais à quel point c’est dangereux dehors. Michel a raison, tu n’y arriveras pas seul. Tu veux mourir ? ?
? Non ?, répondit Alan doucement. ? Je veux vivre. ?
Jennel plissa les yeux, cherchant à comprendre.
? Tu sais pourquoi je pars ?, dit Alan en levant enfin les yeux vers elle.
Jennel recula légèrement, comme si elle venait de recevoir un coup.
? Non… ? murmura-t-elle, secouant la tête. ? Non, ce n’est pas une raison. Tu n’as pas le droit de tout abandonner à cause de ?a. ?
Alan fit un pas vers elle, ses yeux fixés dans les siens.
? J’ai essayé, Jennel. De rester. De t’avoir à mes c?tés, sans rien attendre de plus. Mais je n’en suis pas capable. Je t’aime. Et rester ici… c’est me condamner à souffrir chaque jour un peu plus. ?
Jennel détourna le regard, une larme roulant sur sa joue.
? Je ne peux pas t’offrir ce que tu veux ?, murmura-t-elle.
? Alors laisse-moi partir. ?
Un long silence s’installa entre eux. Jennel finit par relever la tête, son regard brillant d’émotions contenues.
? Bonne chance, Alan ?, dit-elle d’une voix brisée, avant de tourner les talons et de dispara?tre dans la nuit.
JENNEL, 95.
Quel idiot ! Pour qui se prend-t-il ? Je ne suis pas censée tomber amoureuse du premier Survivant venu.
Mais je sais bien que celui-là me pose un problème.
Je ne peux pas le retenir, c'est trop exigeant pour moi.
Mais le laisser partir, c'est vraiment dommage. Je veux dire que je me sens bien avec lui. Trop s?rement. Ou pas assez.
Je me relis et je trouve que c'est aussi confus que mes pensées.
Me faire ?a à moi. Me laisser tomber alors que je fais de mon mieux pour être gentille. Tout cela parce que Monsieur veut plus. Et puis quoi ? D'accord ce ne serait pas épouvantable, mais NON.
Mais sachant ce que je sais, je me conduis peut-être en idiote.
C'est compliqué.
Le lendemain matin, Alan se réveilla tardivement, veillant à éviter le départ de Jennel, Bob et Johnny partis en patrouille d'avant-garde. Après avoir plié sa tente et rassemblé ses maigres affaires, il s'approcha du centre du camp. Michel, Rose et d'autres membres du groupe vinrent le saluer avec un mélange d'inquiétude et de respect. Tous avaient appris son départ.
? Prends soin de toi ?, dit Rose avec une note de tristesse dans la voix.
Alan acquies?a simplement, le regard fixé sur le chemin devant lui.
Il partit seul, suivant le tracé que le groupe devait emprunter plus tard, mais en restant derrière la patrouille d’avant-garde. Chaque pas semblait le rapprocher de quelque chose d'inconnu, et pourtant inéluctable.
Après une heure de marche, deux Spectres apparurent brusquement à la périphérie. L'un était un homme au Spectre saturé de violence. L'autre, une femme, dont le Spectre tourmenté laissait transpara?tre une profonde détresse.
Alan se figea. Une inquiétude grandissante s’empara de lui.
L’homme semblait dangereux. Poussé par des pulsions de mort.
La patrouille allait tout droit vers lui.
Alan sentit son c?ur s'accélérer. Le Spectre de l'homme dégageait une aura d'une intensité qui le gla?a. Une hostilité brute, animale, prête à exploser. La femme, à c?té de lui, vacillait entre la peur et une confusion profonde, mais elle n'était pas le danger imminent.
L'homme l'était.
Il n'avait pas de temps à perdre.
Alan jeta un coup d'?il à son sac. Sans réfléchir, il abandonna tout sauf son arme, allégeant son poids pour gagner en vitesse. Il tira son pistolet automatique de sa ceinture, vérifia d'un geste rapide la sécurité, et se mit à courir.
Les chemins étaient étroits, bordés d'arbustes épineux qui s'accrochaient à ses vêtements. Le sol était irrégulier, parsemé de racines et de cailloux tra?tres. Il trébucha une fois, se rattrapant de justesse contre un tronc d'arbre, mais il ne ralentit pas.
Chaque seconde comptait.
Le village se dessinait devant lui, ses toits rouges émergeant au-delà des champs abandonnés. Le silence ambiant n'avait rien de rassurant. Il traversa un jardin en friche, les hautes herbes fouettant ses jambes, sa respiration devenant de plus en plus haletante.
Dans les ruelles étroites, les maisons de pierre semblaient observer son passage, immobiles, spectatrices d'un drame à venir. Le pavé sous ses pieds était glissant par endroits, mais il ne ralentit pas.
Son esprit était focalisé sur une seule chose : arriver à temps.
Il savait où se dirigeait la patrouille. Le centre du village. La place principale, où les Survivants avaient l'habitude de se regrouper lorsqu'ils exploraient une nouvelle zone.
Il tourna brusquement à gauche, empruntant une rue plus courte, ses pieds martelant le sol avec une urgence désespérée. Il sentait le Spectre de l'homme se rapprocher, vibrant d'intentions meurtrières. Chaque pulsation résonnait dans sa tête comme un avertissement.
? Ils n'ont aucune chance ?, murmura-t-il entre deux inspirations.
Le centre du village était à quelques mètres à peine lorsqu'il aper?ut la silhouette de Bob, avan?ant prudemment avec Johnny et Jennel, leurs armes prêtes mais leurs visages détendus.
Ils ne savaient pas.
Alan se glissa dans une rue latérale, son c?ur battant à tout rompre. Il interpella ses trois compagnons d’une voix basse mais pressante.
? Quittez la rue immédiatement. Reculez ! ?
Les dix secondes qui suivirent lui parurent interminables. Bob et Johnny échangèrent un regard avant d’obtempérer, mais Jennel, elle, réagit autrement. Sans même réfléchir, elle se précipita dans les bras d'Alan, l'enla?ant brièvement comme pour s'assurer qu'il était réel.
Alan, pourtant, ne pouvait se permettre de savourer cet instant. Son regard s'assombrit alors qu'il observait la silhouette spectrale de la femme, elle aussi invisible aux yeux des autres.
Il prit une décision insensée.
? Qu'est-ce que tu fais ? ? murmura Jennel, l'angoisse dans la voix, alors qu'il se détachait d'elle.
? Je vais essayer de raisonner l’homme. ?
Jennel attrapa son bras. ? Non. Alan, non. C'est du suicide ! ?
Mais il se dégagea doucement, déterminé.
? Je dois essayer. S'il reste une chance de sauver la femme, je dois la prendre. ?
Jennel le fixa, pétrifiée, avant de murmurer d’une voix brisée :
? Il y a aussi une femme. Alors je vais trouver une autre fa?on de t’aider. ?
Elle se détourna brusquement, cherchant un chemin vers l’arrière d’un batiment qui bordait la rue. Alan l’observa partir un instant, puis s’avan?a lentement dans la rue en direction d’un immeuble marquée ? Mairie ? sur la facade.
? Hé ! ? cria-t-il d’une voix forte, résonnant dans le silence du village.
La silhouette de l'homme apparut, le fusil à la main. Son regard br?lait d’une rage contenue. à c?té de lui, la femme tremblait, ses yeux fuyant désespérément.
Alan leva les mains en signe de paix, en pensant qu’il pouvait peut-être faire mieux que l’autre jour.
? On ne veut pas de mal. Personne n’a besoin de mourir aujourd’hui. ? Du moins l’espérait-il.
L’homme plissa les yeux, méfiant. Sa main se resserra sur la crosse de son arme.
Pendant ce temps, Jennel bondit derrière l’immeuble, son c?ur battant à tout rompre. Alan était en danger, et elle n’avait que quelques secondes pour réagir. La fa?ade de pierre était intacte, les fenêtres closes, les portes solides. Aucune entrée évidente. Elle longea le mur à pas précipités, tatonna la poignée d’un porche sans succès, puis en essaya un autre. Verrouillé.
Elle serra les dents, fit quelques pas en arrière et balaya la fa?ade du regard. Il devait y avoir un accès. Son regard s’arrêta sur une porte vitrée plus loin, sans doute un hall d’entrée. Elle s’y précipita, y posa la main, pria pour que… ouverte !
L’intérieur était intact. Un hall propre, aux carreaux froids et aux murs encore ornés de cadres figés dans le passé. Une odeur stagnante flottait dans l’air, mélange de renfermé et de quelque chose d’autre.
Elle se précipita vers l’escalier et monta, deux marches à la fois. Premier étage. Portes closes. Deuxième. Toujours rien. Troisième étage. Une porte entrouverte.
Elle hésita une fraction de seconde avant de pousser du bout des doigts. Un effluve lourd et immobile l’accueillit. Là, dans l’ombre du couloir, un corps effondré. Un homme, vêtu d’un pull élimé, son visage inexpressif, figé dans la mort depuis des mois. Jennel avala sa salive, fit un pas en arrière, puis secoua la tête. Pas le temps d’hésiter.
Elle enjamba le cadavre, ouvrit plus grand la porte et avan?a, retenant son souffle. Le salon donnait sur la place. Un canapé poussiéreux, une table renversée… et plus loin, une autre silhouette recroquevillée contre un mur, figée dans une posture qui aurait pu être du sommeil si l’odeur ne trahissait pas l’évidence.
Elle détourna les yeux et fon?a sur la fenêtre. Rideaux tirés. Elle les écarta d’un geste sec et s’agenouilla sur le balcon. Là. Alan, au milieu de la place.
D’un geste rapide, elle épaula son fusil, chargea, retint son souffle et chercha une cible.
? S’il te pla?t, Alan, tiens bon… ? murmura-t-elle.
En bas, les négociations tournaient court.
? Vous ne comprenez rien ! ? hurla l'homme. ? Ils doivent payer ! ?
Alan fit un pas en avant, tentant de garder un ton apaisant.
? Personne ne vous veut de mal. Dites-moi ce qui s’est passé. On peut vous aider. ?
L’homme secoua la tête, fou de rage. ? Vous mentez tous. Vous êtes comme eux ! ?
D’un geste brusque, il leva son arme.
Alan avait déjà vécu cela. Le Spectre de l’homme le trahissait avant qu’il n’agisse. Une détonation retentit et l’homme glissa vers le sol.
Mais le danger n'était pas terminé.
La femme qui accompagnait l'homme ramassa le fusil tombé à terre. Ses mains tremblaient, mais son regard s'était durci. Elle pointa l’arme vers Alan qui, déconcentré, ne l’observait plus.
Cette fois, c'était trop tard pour esquiver.
Une nouvelle détonation éclata.
La femme s'effondra, fauchée par une balle tirée du balcon.
Jennel abaissa lentement son fusil, les yeux fixés sur Alan. Son visage était livide, ses traits crispés par une émotion qu’elle avait du mal à contenir.
Alan resta immobile, le c?ur battant à tout rompre. Il se tourna vers la femme au sol, puis leva les yeux vers Jennel.
Ils se regardèrent longuement, en silence. Aucun mot ne pouvait exprimer ce qu'ils ressentaient à cet instant.
Johnny se précipita vers le groupe en approche. Il agita la main pour attirer l’attention de Michel et des autres.
? Michel ! Alan a d? abattre un homme. Une femme est grièvement blessée. ?
Michel accéléra le pas, suivi de Rose et des autres Survivants. Ils arrivèrent assez rapidement à la place. Jennel était descendue du balcon, le fusil encore à la main, le regard fixé sur la femme au sol. Alan se tenait à ses c?tés, le visage sombre.
Michel s’agenouilla près de la femme blessée, cherchant des signes de vie.
? Elle respire encore ?, murmura-t-il.
Mais la respiration de la femme était laborieuse, chaque souffle accompagné d’un rale douloureux. Elle ouvrit brièvement les yeux, cherchant un visage familier, mais il n’y avait que des inconnus autour d’elle.
Jennel se laissa tomber à genoux à ses c?tés.
? Tiens bon ?, murmura-t-elle, posant une main tremblante sur le front de la femme.
Mais le regard de la blessée s’éteignit doucement. Un dernier souffle, puis plus rien.
Jennel recula, horrifiée. Ses mains tremblaient, et elle serra le fusil contre elle comme un bouclier.
? Non… ? murmura-t-elle. ? Je voulais la sauver… ?
Alan s’approcha doucement et posa une main réconfortante sur son épaule.
? Tu as fait ce que tu devais faire. Si tu n’avais pas agi, je serais mort. ?
Jennel secoua la tête, les larmes aux yeux.
? Mais elle… elle ne devait pas mourir. ?
Alan la for?a à le regarder.
? Ce n’était pas ta faute. Elle avait choisi son chemin. ?
Jennel se laissa aller contre lui, cherchant du réconfort. Alan la serra dans ses bras, ressentant la tension qui émanait d’elle.
Après un long silence, elle se redressa légèrement.
? Alan… ?
Il attendit, patient.
? Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? ? demanda-t-elle, le regard hésitant.
Alan inspira profondément. ? J’ai dit que je partais. Mais… je ne sais plus. Peut-être que je devrais rester. ?
Jennel le fixa intensément, ses yeux sombres cherchant quelque chose dans les siens.
? Tu vois bien que tout le monde a besoin de toi. ?
Alan haussa les épaules, le poids de ses émotions pesant lourdement sur lui. ? Et toi, Jennel ? ?
Elle baissa les yeux, jouant nerveusement avec le bord de son t-shirt.
? Moi aussi. Je… je ne peux pas me passer de toi. ?
Alan resta sans voix. Il sentit son c?ur s’emballer, une chaleur douce l’envahir. Mais il ne savait pas quoi dire. Les mots semblaient inutiles.
Jennel releva la tête, ses joues légèrement rosées.
? Il y a quelque chose en moi, Alan. Quelque chose d’irrésistible. Je ne peux pas l’expliquer, mais… je veux que tu restes. ?
Alan, incapable de parler, fit le seul geste qui lui semblait naturel. Il se pencha doucement et déposa un baiser furtif sur ses lèvres.
Le contact fut bref, mais le monde sembla s’arrêter.
Lorsqu’il se recula, il regretta aussit?t son geste.
? Jennel, je… je suis désolé. ?
Mais elle ne protesta pas. Elle resta immobile, ses lèvres légèrement entrouvertes, le regard perdu dans le sien.
? Ne sois pas désolé ?, murmura-t-elle finalement.
Ils restèrent là, face à face, tandis que le reste du groupe s’affairait autour d’eux, sans prêter attention à ce moment suspendu.
Pour la première fois depuis longtemps, depuis la Vague, Alan sentit que quelque chose venait de changer. Définitivement.