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10 - Le Choix de lEspoir

  Les habitants de Kaynak convergèrent lentement vers l’Assemblée, qui se tenait devant l’h?tel faisant office d’administration. Situé au bord de la rivière, l’édifice était modeste mais robuste, son parvis encore légèrement ombragé formant une petite place où se réunissaient les Survivants.

  Depuis les habitations situées au fond de la vallée, près de la rivière, des groupes se formaient. Hommes et femmes marchaient d’un pas lent mais résolu, les visages fermés. Certains portaient encore des traces des travaux de la matinée : des mains terreuses, des vêtements usés, des traits tirés.

  Du vallon latéral, ceux qui ont été simplement plus chanceux dans leurs habitations descendaient le chemin central.

  Sur le versant, quelques tentes encore dressées laissaient échapper des figures solitaires. Ces derniers arrivants, mal à l’aise, avan?aient avec hésitation. Certains se retournaient avant de partir, comme jetant un regard d’adieu à leur campement de fortune.

  Autour de la petite place, les Survivants s’installaient lentement, par petits groupes. Des conversations à voix basse résonnaient, mais les mots clés qui revenaient le plus souvent étaient ? avenir ?, ? abri ?, et ? faim ?. Les visages étaient marqués par l’inquiétude : que faire, maintenant que l’espoir s’amenuisait ?

  Jennel arriva enfin, accompagnée de ses amis du vallon. Tendue, mais déterminée à se battre, elle avan?a parmi les regards des autres, certains bienveillants, d’autres chargés de scepticisme. Elle gardait la tête haute, serrant les poings pour ma?triser sa nervosité. Derrère elle, Bob, Maria-Luisa, Johnny et Rose marchaient en silence, formant un noyau compact de soutien.

  Sur l’estrade improvisée, Imre, debout au centre, attirait les regards. Les sept Administrateurs, dont Jennel faisait partie, s’installèrent au fond, observant la foule qui s’était assemblée. Imre attendit quelques instants, laissant le silence s’installer, avant de commencer son discours.

  ? Mes amis, nous sommes ici aujourd’hui pour une réunion cruciale. Cela fait des mois que nous nous accrochons à l’espoir, mais nous devons être honnêtes : Kaynak, notre refuge, est menacé. La question qui se pose est simple, mais lourde de conséquences : devons-nous rester ici, ou partir chercher un nouvel abri ? à vous tous, je demande de réfléchir avec sérieux et unité. ?

  Un homme se leva dans la foule. C’était Dimitri, un ancien soldat aux traits durs et au ton affirmé.

  ? L’attente a trop duré. Alan a essayé, il a échoué. Nous devons faire face à la réalité. Kaynak n’a plus d’avenir. Nous devons partir, aller vers Istanbul ou une autre grande ville. Là-bas, nous pourrons constituer des stocks, trouver un lieu souterrain qui aurait échappé aux nanites. Nous ne pouvons pas rester ici à attendre une solution qui ne viendra pas. ?

  Un murmure parcourut la foule. Certains acquiescèrent, d’autres secouèrent la tête, sceptiques. Bob se leva à son tour, les mains levées pour demander le silence.

  ? Les nanites sont partout. Vous le savez, Dimitri. Nous ne pouvons pas leur échapper, où que nous allions. Et même si nous trouvons un abri, combien de temps pourrions-nous nourrir cinq cents personnes ? Les stocks que vous voulez constituer s’épuiseront, et après ? Nous sombrerons dans des affrontements, puis dans la famine. Ce que vous proposez, ce n’est pas un plan. C’est un sursis, et un sursis court. ?

  Le silence revint, plus lourd que jamais. Tous les regards se tournèrent vers Imre, qui hocha la tête, l'air grave. Mais avant qu'il ne puisse parler, une voix inattendue s'éleva.

  C'était Nikos, un homme aux traits fins et aux lunettes épaisses, connu pour son passé scientifique. Il se leva, attirant la curiosité générale.

  ? Mes amis, je sais que l'inquiétude nous ronge tous, mais il y a une autre voie. Avec mes collègues, nous avons étudié les sols autour de Kaynak. Nous sommes arrivés à une conclusion encourageante : la terre n'est pas contaminée en profondeur. Nous pensons qu'il est possible de l'exploiter pour des cultures mara?chères, du blé, du ma?s, et bien d'autres choses. Certes, cela demandera un effort collectif important et de la patience, mais cela pourrait nous épargner la famine. ?

  Des murmures parcoururent la foule, mais Nikos n'en avait pas fini.

  ? De plus, en étudiant ces cultures et en travaillant sur le sol, nous avons l'espoir de mieux comprendre les nanites et peut-être même de trouver un remède contre leurs effets. Ce sera difficile, mais je crois fermement que cela vaut la peine d'essayer. Cela dit, il faut agir vite. Plus nous attendons, plus les ressources diminueront, et notre situation deviendra critique. ?

  L’intervention de Nikos provoqua une réaction enthousiaste. Beaucoup dans la foule commencèrent à murmurer entre eux, et certains affichèrent pour la première fois une lueur d'espoir. Il semblait que ses propos résonnaient avec les aspirations de nombreux Survivants. L'assemblée, qui semblait divisée quelques instants plus t?t, commenca à se rallier à l'idée de Nikos.

  Imre, observant les réactions, laissa un moment de silence. Mais alors que l'espoir semblait emporter l'assemblée, Jennel se leva, tendue, le visage grave.

  ? J’entends votre enthousiasme, mais je ne peux pas me taire. Ces hypothèses sont très attirantes, oui, mais elles ne s’appuient que sur des espoirs insensés et des suppositions ridicules. Je trouve sympathique que trois scientifiques, sans laboratoire, sans instrument, sans la moindre théorie ni connaissance des nanites, proposent de vaincre une menace planétaire. Une puissance inconnue, aux moyens inimaginables pour nous, qui tue et continue de tuer toute vie où qu’elle soit. Vous pensez que creuser des trous suffira ? Vous croyez que les nanites resteront inactives ? Aussit?t que vous pénétrerez un tunnel ou que vous planterez, elles seront là. Ce projet est honorable, mais il est ridicule. ?

  Un silence de plomb s’installa. Jennel, visiblement à bout de nerfs, s’avan?a encore, déterminée.

  ? Pourquoi sommes-nous ici ? Pourquoi avons-nous suivi le Phare ? Pourquoi avons-nous attendu que la Source nous envoie un message ? Pourquoi avons-nous envoyé un messager, seul, affronter l’inconnu ? C’était pour trouver une solution viable, un avenir possible. Et, croyez-moi, c’est bien plus facile d’attendre ici, même en se serrant la ceinture, que de risquer sa vie jour après jour pour sauver la peau de gens qui s’impatientent. Alors dites-moi : est-ce vraiment ces divagations que nous voulons ? ?

  La tension était palpable. Jennel restait debout, les poings serrés, la gorge nouée. Le silence dans l’assemblée était total. Tous les regards étaient tournés vers elle, mais elle n’écoutait plus. Son émotion était à son paroxysme, et elle luttait pour ne pas craquer.

  Une voix s'éleva alors, grave, posée : ? Je suis, comme toujours, d'accord avec Jennel. ?

  Un homme venait de monter sur l'estrade d'un pas assuré. Jennel connaissait cette voix. Elle fut prise de tremblements, se tourna lentement. Les larmes explosèrent dans ses yeux. Alan traversa rapidement l'estrade, la prit vite dans ses bras, murmura : ? Bonsoir, mon amour. ?

  Jennel pleurait de bonheur dans les bras d'Alan. Quelques secondes passèrent, suspendues dans le temps, avant qu'elle ne parvienne à articuler : ? Tu vas bien ? ?

  ? Quelques massages seraient les bienvenus, ? répondit Alan, très ému mais souriant.

  Jennel tenta un sourire maladroit, encore bouleversée. Alan, doucement, lui expliqua qu’il devait parler à la foule. Jennel comprit, bien qu’elle n’eut aucune envie de le lacher.

  Devant eux, la foule, d’abord tétanisée, commen?ait à s’éveiller. Sur l’estrade, tout le monde était stupéfait, à l’exception de Johnny qui cria : ? C’est le Chef, le Chef ! ? Maria-Luisa, un sourire amusé, tenta de le calmer en lui posant une main sur l’épaule.

  Alan avan?a alors au bord de l’estrade, levant une main pour calmer l’agitation qui montait dans la foule. Il attendit un moment que le silence revint, puis prit la parole :

  ? Vous avez en fait deux solutions. La première, proposée par Nikos et Dimitri, est intéressante et a, suivant votre degré d'optimisme, entre 0 et 50 % de chances de survie à un an. La seconde, que je peux vous proposer, a 100 % de chances de survie à un an, et plus si nous sommes malins. Il m'appara?t que la mienne a un avantage compétitif. ?

  Des murmures traversèrent l’assemblée. Certains hochèrent la tête avec enthousiasme, tandis que d’autres lan?aient des exclamations favorables :

  ? C’est évident, il a réussi ! ?

  ? S’il est revenu, c’est qu’il a trouvé quelque chose ! ?

  ? Alan a toujours su quoi faire ! ?

  Jennel, n’en pouvant plus d’émotion, vint se placer à c?té de lui.

  Alan lui prit la main, et elle le dévora des yeux, incapable de réprimer un sourire mélangeant joie et soulagement.

  Il for?a sa voix pour capter de nouveau l’attention de la foule :

  ? Maintenant, je vais vous raconter une histoire. Votre histoire. Elle ne répond pas à toutes les questions, mais à un grand nombre. ?

  Il parla à la foule, mais son regard restait fixé sur Jennel. Tandis qu’il s’adressait à eux, il ne perdit pas son visage des yeux.

  ? Il y a environ quatre ans maintenant, un vaisseau spatial géant et invisible s’est mis en orbite autour de la Terre. Il a commencé à ensemencer la planète avec des nanites. Toute la planète : terre, mer, air. Ces nanites ont la capacité de se reproduire avec très peu d’énergie. Mais vu leur nombre, il en faut beaucoup. Le vaisseau a accompli cette tache d’une manière inconnue par nous.

  Le moment venu, ces nanites ont lancé leur mission de stérilisation biologique. Les Gulls, nous les appellerons ainsi, détruisent systématiquement les civilisations qui pourraient un jour rivaliser avec eux. Les nanites sont leurs armes. Mais ces nanites ont un autre objectif : conserver quelques exemplaires de la race la plus développée pour trier les plus résistants et les plus malins, et les mettre à l’abri. ?

  Alan reprit son souffle. Des murmures s’élevèrent dans la foule : ? Qui sont ces Gulls ? ?, ? Où est cet abri ? ?, ? Que veulent-ils faire de nous ? ?

  Alan et Jennel étaient face à face. Jennel murmura, presque inaudible, : ? Ce n’est pas tout, n’est-ce pas ? ?

  Un sourire discret se dessina sur le visage d’Alan. Il se retourna vers la foule et reprit, d’une voix plus forte :

  ? Les Gulls sont d’une intelligence supérieure sur bien des points, mais pas sur tous. Nous suivons leur plan depuis le début, contraints et forcés, simplement pour survivre. Nous allons continuer à suivre leur logique… mais cette logique peut être faussée, le moment venu. Je le sais. ?

  Alan retourna vers le fond de l'estrade où ses amis l'attendaient pour le féliciter.

  Imre, visiblement impressionné, lui dit doucement : ? C’est un retour marquant, Alan. ?

  Rose, très émue, avait les yeux humides et murmura : ? Tu es incroyable. ?

  Bob le congratula avec une tape amicale sur l'épaule et ajouta : ? On savait que tu reviendrais, vieux. ?

  Maria-Luisa l'embrassa légèrement sur la joue avant de dire : ? Tu nous as tous fait attendre, mais ?a valait la peine. ?

  Alan souria, visiblement touché par leurs réactions.

  Il se tourna alors vers Imre et lui demanda d'organiser une escorte pour lui et ses proches afin de revenir au hameau, ainsi qu'un cordon de sécurité pour en bloquer l'accès.

  Il continua : ? Mobilisez tous vos hommes pour ce qui va suivre. Et annoncez à la foule qu'un recensement des partants avec moi sera fait demain matin. Le départ aura lieu demain. ?

  Imre inclina la tête, obéissant sans poser de questions, puis quitta l'estrade pour donner ses ordres. Cependant, avant de partir, il se tourna vers la foule, leva les mains pour demander le silence, et prit la parole avec une voix forte et assurée :

  ? Calmez-vous ! L’ordre doit être maintenu. Alan a apporté des réponses et a tracé une voie claire. Dès demain, un recensement sera effectué pour déterminer qui le suivra. Je demande à chacun de se préparer et de ne pas agir dans la confusion. Ceux qui restent devront être autonomes et disciplinés. ?

  Il laissa un instant passer, fixant la foule du regard pour s’assurer que ses paroles furent entendues.

  ? Nous vivons un moment crucial. Réfléchissez cette nuit à votre avenir et soyez prêts à faire un choix demain matin. Maintenant, dispersez-vous et laissez-nous préparer ce qui doit l’être. ?

  Peu à peu, les Survivants se dispersaient, murmurant entre eux les implications des paroles d’Alan et d’Imre.

  Tous étaient revenus au hameau du vallon. Imre avait déployé un cordon de sécurité à son entrée pour protéger l’endroit et maintenir l’ordre. Il avait rejoint Alan et tout le groupe des Survivants qui l’avaient suivi pendant un an. Yael et Leyla étaient là aussi, apportant leur présence chaleureuse.

  Jennel ne lachait pas la main d’Alan, son regard ne quittant presque jamais le sien. Alan, d’une voix calme mais ferme, expliqua à tous qu’il ne pouvait pas tout résumer en quelques mots. Il leur demanda une journée supplémentaire de patience pour éclaircir notablement leurs idées.

  ? Merci à tous pour votre accueil et votre aide. Merci à Imre pour son travail et son dévouement. Vous n’imaginez pas combien cela fait du bien de revenir ici après neuf mois de voyage. J’en ai rêvé chaque jour. ?

  Sa voix trembla légèrement sur les derniers mots, et il ajouta avec un sourire : ? Mais j’aimerais aussi un peu d’intimité. ?

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  Tout le monde acquies?a avec bienveillance. Johnny, avec son enthousiasme habituel, proposa : ? On pourrait allumer un feu dans la rue et veiller ensemble cette nuit. ?

  Imre, après un instant de réflexion, leur donna une dérogation exceptionnelle : ? Soit, mais veillez à ce que tout reste sous contr?le. ?

  La soirée promettait d’être mémorable. Le feu, symbole de chaleur et de rassemblement, était sur le point de réchauffer les coeurs comme jamais auparavant.

  Jennel et Alan se retrouvèrent enfin seuls dans leur petit logis. Après un baiser interminable, Alan murmura : ? Tu m'as sauvé, chérie. Sans toi et l'espoir de te revoir, je n'aurais jamais réussi à aller au bout. ?

  ? J'ai failli mourir d'angoisse. Mais ce n'est s?rement rien à c?té de tes souffrances, ? répondit Jennel.

  Jennel commen?a à déboutonner la chemise d’Alan. ? Tu veux prendre une douche ? ? demanda-t-elle.

  ? J'en ai pris une tout à l'heure, avant de venir. Un peu bizarre mais efficace, ? répliqua Alan.

  Jennel fron?a les sourcils, intriguée.

  ? J'ai des tas de choses à te raconter. Mais cela peut encore attendre, ? dit Alan en passant les mains sous le ravissant corsage blanc de Jennel.

  Ses doigts effleurèrent sa peau avec une douceur infinie, dessinant des chemins invisibles. Jennel ferma les yeux, un frisson la parcourant, et laissa échapper un soupir profond, mélange d'abandon et de désir. Chaque geste d'Alan semblait effacer les mois d'angoisse et de solitude qu'ils avaient vécus. Elle posa ses mains sur ses poignets, le regarda intensément, et murmura : ? Ne t'arrête pas... ?

  Avec une lenteur étudiée, Alan se mit à défaire les attaches du corsage, ses mains s'attardant sur chaque bouton, comme s'il redoutait d'en rompre la perfection. à mesure que le tissu glissait doucement, il dévoilait la courbe élégante de son épaule et la chaleur douce de sa peau. Jennel, d'abord immobile, sentit une vague d'émotion la submerger. Son souffle s'accéléra imperceptiblement, et ses lèvres entrouvertes laissèrent échapper un léger murmure : ? Alan... ?

  Les doigts d'Alan glissèrent sur ses bras nus, suivant chaque contour avec une précision tendre, presque révérencieuse. Il leva les yeux vers elle, capturant son regard. ? Tu es magnifique, ? murmura-t-il, sa voix rauque trahissant son émotion. Jennel frissonna, non pas de froid, mais de la force des sentiments qui les liaient en cet instant. Chaque geste d'Alan semblait une promesse silencieuse, un serment scellé par la douceur de ses caresses. Jennel, les yeux mi-clos, se laissait emporter par cette intimité qui semblait effacer toutes les ombres du passé, comme si, enfin, elle était totalement, irrémédiablement en paix.

  Les deux amants avaient beaucoup de temps à rattraper, aussi de longs instants de plaisir passèrent avant qu'Alan puisse raconter les différentes étapes de son voyage et les difficultés rencontrées. Il s'arrêta à la prise de contact, évitant de détailler la suite.

  Jennel lui demanda alors si le retour avait été aussi long. Alan lui répondit qu'il fut beaucoup plus rapide. Jennel s'en étonna.

  ? Certaines choses doivent être vues pour être crues et comprises. Je te montrerai demain, ?a évitera que tu penses que le soleil m'a trop tapé sur la tête, ? dit-il avec un sourire.

  ? Et j'ai pris le temps de faire une course dans une ville traversée. ?

  Il se leva, alla chercher une petite bo?te dans la poche de son pantalon, et revint s'asseoir sur le lit, tout près de Jennel. Il ouvrit lentement la bo?te, qui contenait deux anneaux. Il la regarda dans les yeux et dit :

  ? Veux-tu m'épouser ? ?

  Jennel ne comprit pas pendant quelques secondes et resta un peu perdue. Le mariage n'existait plus, c'était une vieille institution d'avant la Vague. L'idée sembla irréelle, presque absurde dans le contexte de leur monde brisé. Mais soudain, comme un éclair, elle réalisa toute la portée symbolique de la demande d'Alan.

  Ce n'était pas simplement une question d'anneaux ou de tradition. Cette demande incarnait un acte de foi, une promesse au milieu du chaos, un cri d'amour défiant la peur et la mort. Tout l'amour qu'elle ressentait pour Alan lui revint en pleine figure, comme une vague qui l'engloutissait.

  Elle porta la main à sa bouche, incapable de parler, les yeux baignés de larmes. Une chaleur douce et enveloppante se diffusa dans tout son être, repoussant les ténèbres des mois d'angoisse qu'elle avait endurés. Elle pensa à tout ce qu'ils avaient traversé, à la force qu'il lui avait insufflée, à l'espoir qu'il avait ravivé en elle.

  Son silence sembla durer une éternité. Puis, prenant une profonde inspiration, une bouffée de bonheur la remplit, et d'une voix claire, tremblante d'émotion mais résolue, elle répondit : ? Oui, je veux être ta femme. ?

  Dans la rue, autour du feu improvisé dans un bidon, les amis d’Alan s’étaient regroupés, savourant la chaleur bienfaitrice et l’atmosphère de retrouvailles. Des rires éclataient ici et là, contrastant avec les murmures de discussions plus discrètes. Maria-Luisa tendait ses mains vers les flammes, un sourire éclairant son visage.

  ? Tu crois qu’il va nous raconter tout son voyage demain ? ? demanda Johnny, les yeux brillants d’excitation.

  Bob, adossé à un muret, haussa les épaules : ? Il le fera à sa fa?on, comme toujours. Mais on sait qu’il a réussi, c’est le principal. ?

  ? Moi, je veux surtout savoir comment il a survécu à tout ?a. Ce type est un miracle ambulant, ? ajouta Leyla en secouant doucement la tête.

  Rose, silencieuse jusqu’ici, prit une gorgée d’une boisson chaude que Maria-Luisa avait préparée, puis dit :

  ? C’est Jennel qui l’a sauvé, pas vrai ? Sans elle, il n’aurait jamais tenu. Alan peut être têtu, mais l’amour le pousse plus loin que tout. ?

  ? Tu deviens philosophe, Rose, ? plaisanta Johnny, provoquant un éclat de rire général.

  Imre, posté à l’entrée du cercle pour surveiller les environs, se contenta d’un sourire discret. Il savait que cette soirée était précieuse. Une parenthèse de répit avant les décisions et les épreuves à venir.

  Soudain, Jennel et Alan firent irruption au milieu de la fête. La surprise fut totale. Maria-Luisa écarquilla les yeux, Johnny resta bouche bée, et même Bob releva la tête d’un air interrogateur.

  Jennel, un sourire radieux, enla?a Alan avant d’exhiber fièrement son anneau scintillant à la lumière des flammes.

  ? Nous venons de nous marier, ? annon?a-t-elle, la voix forte et claire. ? Alors je vous présente mon mari, que vous devez conna?tre. Nous aimerions que vous soyez tous témoins. ?

  Il y eut un instant d’incompréhension, puis un murmure traversa le groupe. Lentement, les sourires éclatèrent, les rires fusèrent, et bient?t, la joie devint générale.

  ? C’est fantastique ! ? s’exclama Johnny en sautant presque sur place.

  ? Je savais qu’ils oseraient faire ?a! ? ajouta Maria-Luisa, les mains jointes devant elle, visiblement émue, et jetant un regard à Johnny.

  Rose s’approcha de Jennel et lui serra les mains : ? Je suis si heureuse pour vous deux. Vous le méritez tellement. ?

  Bob, d’un ton taquin, dit : ? Et moi qui pensais qu’ils allaient encore attendre un an pour se décider à nous montrer l’exemple! ?

  Leyla, les yeux brillants de larmes, ajouta : ? C’est tellement beau. ?

  Imre, fidèle à lui-même, se contenta de hocher la tête avec un sourire approbateur : ? Toutes mes félicitations. Et que cette union soit un symbole de force pour nous tous. ?

  La chaleur du feu semblait s’être mêlée à celle de leurs c?urs, et les félicitations se poursuivirent dans un brouhaha joyeux. Alan et Jennel, au centre de l’attention, savouraient ce moment unique, entourés de leurs amis et de l’espoir qu’ils avaient tous su préserver.

  ? On doit vous abandonner car on a d? interrompre notre nuit de noces, ? lan?a Jennel avec un sourire malicieux.

  Des rires et des quolibets fusèrent dans le groupe.

  ? Ne te gêne pas pour nous, hein ! ? cria Johnny en riant.

  ? Allez, filez ! ? ajouta Bob avec un clin d’?il.

  Les mariés se levèrent et, sous les applaudissements et les rires de leurs amis, rejoignirent leur refuge, main dans la main, le sourire aux lèvres.

  Avant l'aube, Imre, Yael et quelques autres se préparaient sur la place, près du hall de l'h?tel. Les Survivants commen?aient à arriver, se regroupant en silence sous le ciel encore sombre. Quelques-uns avaient quitté le village pendant la nuit, laissant derrière eux des abris vides et des questions sans réponse.

  Imre, vêtu de son habituel manteau sombre, monta sur l'estrade improvisée et leva les bras pour capter l'attention. Sa voix claire s'imposa sur le murmure ambiant :

  ? Mes amis, l'heure est venue de nous organiser. Nous devons savoir qui part avec Nikos et qui choisit de suivre Alan. Le nombre de volontaires est crucial pour prévoir la logistique des deux groupes. Chacun devra se signaler ici dans l'heure. Nous devons agir vite et avec discipline. ?

  La foule acquies?a en silence, certains hochant la tête, d'autres restant immobiles, l'esprit ailleurs. L'atmosphère était lourde de tension et d'incertitude.

  Soudain, Nikos émergea de la foule et s'avan?a d'un pas décidé. Il leva une main pour demander la parole. Imre, le regard méfiant, croisa les bras.

  ? Nikos, si c'est pour influencer le choix des Survivants, je ne peux pas te laisser parler, ? déclara Imre, sa voix tranchante.

  Nikos secoua la tête : ? Ce n'est pas mon intention. Je vous demande simplement de m'écouter. ?

  Après une brève hésitation, Imre fit un signe de tête, concédant la parole. Nikos prit une profonde inspiration avant de s'adresser à l'assemblée :

  ? Beaucoup d'entre vous savent combien je croyais à mon projet, à l'idée de reconstruire ailleurs. Mais les choses ont changé. Ceux qui restent avec moi ne seront pas assez nombreux. Le travail nécessaire serait colossal et impossible à mener sans un groupe conséquent. Après m?re réflexion, j'ai décidé de partir avec Alan. ?

  Un silence abasourdi s'abattit sur la place. Certains échangèrent des regards incrédules, d'autres semblaient troublés. Un murmure s'éleva lentement, se propageant comme une vague dans l'assemblée.

  Imre, reprenant rapidement le contr?le, leva la main pour calmer les discussions.

  ? Quelles que soient vos décisions, nous devons continuer à collecter les informations nécessaires. Signalez-vous clairement pour que tout soit transmis à Alan. L'organisation est primordiale. Je vous demande de prendre une décision rapide, voire immédiate, afin que nous puissions avancer sans retard. Préparez-vous. ?

  Alan buvait quelque chose ressemblant à du thé, appuyé contre un muret, Rose à ses c?tés. Un léger sourire flottait sur son visage fatigué.

  ? Jennel dort encore, ? dit-il en baillant. ? Je n'ai pas voulu la réveiller. ?

  Rose esquissa un sourire amusé. ? Cela fait du bien d'être jeune, n'est-ce pas ? ? lan?a-t-elle avec malice.

  Alan comprit immédiatement l'allusion. Chacun d'entre eux avait largement dépassé la soixantaine, bien qu'ils en paraissent trente de moins. ? Notre age est théorique, ? répondit-il en haussant les épaules.

  ? Bien s?r que non, ? répliqua Rose. ? Notre image nous trompe. Nous sommes toujours les mêmes à l'intérieur. ?

  Alan prit un moment pour réfléchir. ? Je n'ai pas cette impression, ? dit-il finalement.

  ? Parce que Jennel est là, évidemment, ? assura Rose avec un sourire complice.

  Alan sourit à son tour.

  ? Au départ, ? commen?a-t-il, ? j'étais inquiet à cause de notre différence de culture et de génération. Mais ces barrières sont devenues insignifiantes dans ce nouveau monde. Ensuite, il y avait la différence d'expérience de la vie. Mais, honnêtement, je ne suis pas s?r d'avoir beaucoup plus d'expérience qu'elle. Ce monde a tout nivelé. ?

  Il fit une pause, jetant un regard sur la fumée qui s'élevait lentement du thé.

  ? La seule différence que je per?ois, désormais presque plus, c'est mon manque d'élan d'enthousiasme pour certaines choses. Jennel s'émerveille devant des spectacles ou des petits détails qui, pour moi, semblaient banals. J'avais peur de rester ce vieux grognon pessimiste, mais c'est impossible avec une femme comme elle. Pétillante, rayonnante, et pourtant si profonde... Elle m'a réappris à croire en l'avenir, aussi paradoxal que cela puisse para?tre. ?

  Rose hocha la tête, le sourire toujours présent sur ses lèvres. ? Vous faites un sacré couple, ? conclut-elle doucement.

  JENNEL

  Je profite qu’Alan me croit encore endormie pour me précipiter à écrire ces lignes. Je ne peux pas attendre.

  Le mariage est, parait-il, obsolète.

  En ce qui me concerne, je viens de me marier cette nuit, ou ce matin, je ne sais trop. Bref, j’ai épousé Alan. C’est dingue.

  C’est le plus beau jour, ou la plus belle nuit de ma vie.

  Il est arrivé hier soir, tout fringant, ce qui mériterait des éclaircissements. Juste au moment où j’allais probablement finir dans les pommes. Ils étaient tous cinglés.

  Je le soup?onne d’avoir choisi son moment. C’est que mon mari (c’est la première fois que je l’écris, cela fait dr?le mais ?a me pla?t) … Mon mari a un petit c?té saltimbanque et un certain sens du spectacle.

  Nous sommes tous ravis et excités par sa trouvaille en Turkménistan. Je suis en fait la seule à conna?tre son chemin, mais il fait durer le suspense, même avec moi.

  Comme il sait qu’il vaut mieux ne rien me cacher à cause de mon caractère de cochon (je plaisante bien s?r), s’il reste discret, cela doit être énorme.

  Je me trouve très objective… ?a ne va pas durer.

  Imre arriva précipitamment, le visage grave, et s’adressa directement à Alan :

  ? Nikos a baissé les bras. Presque tout le monde a décidé de te suivre. ?

  Alan resta immobile, mesurant l’ampleur de l’information. ? Combien ? ? demanda-t-il.

  ? 487 partent avec toi, seulement 28 restent avec Dimitri, ? répondit Imre.

  Alan hocha lentement la tête, puis posa un regard résolu sur Imre.

  ? Je vais avoir besoin de toi pour organiser cela. D'abord, distribue la totalité des rations disponibles aux partants avec Dimitri. Ils en auront besoin plus que nous. ?

  Imre fron?a les sourcils : ? Et pour ceux qui partent avec toi ? La nourriture, c’est une question de survie. ?

  ? Fais-moi confiance, Imre. Tout est prévu, ? répliqua Alan calmement.

  Ensuite, je veux que tu regroupes tous ceux qui partent avec moi sur la plage, près de l’estuaire de la rivière. Insiste sur des bagages minimum : pas de surplus. Leurs armes confisquées seront transportées plus tard. ?

  Imre secoua la tête, dubitatif : ? Limiter les bagages sera très difficile. Tu sais comment les gens sont attachés à leurs affaires. ?

  Alan, sans se laisser décontenancer, répondit : ? Ceux qui se chargeront de sacs trop lourds partiront les derniers. Fais passer le message. ?

  Imre soupira : ? Et pour les tentes et l’abri ce soir ? Ce n’est pas prévu. ?

  Alan esquissa un sourire cryptique : ? C’est prévu. ?

  ? Par qui ? ? insista Imre.

  Alan le fixa un instant avec un visage de marbre avant qu’un sourire amusé n’éclaire ses traits. Imre leva les yeux au ciel et lacha un nouveau soupir.

  ? Je suppose que cela signifie que tu as pris le commandement ? ? dit-il, mi-exaspéré, mi-respectueux.

  ? En effet, ? répondit Alan.

  Non loin de là, Jennel, qui était restée à l’écart, eut un sursaut de surprise. Elle posa un regard étrange sur Alan, semblant à la fois inquiète et fascinée.

  Imre, de son c?té, s’éclipsa pour exécuter les ordres donnés, laissant Alan et ses amis derrière lui.

  Les proches d’Alan restèrent muets, un mélange de respect et de surprise lisible sur leurs visages. Ils n’avaient jamais vu Alan exercer une telle autorité, et l’assurance calme qu’il dégageait les impressionnait autant qu’elle les intriguait.

  Enfin, Alan déclara :

  ? Je n’ai guère le choix. ?

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