La Base d'Amérique du Sud devait être répertoriée désormais dans les autres Bases comme possession de leur Base des Monts Ka?kar. Et cela depuis moins d'une heure. Une tentative d'interception des navettes, quoique improbable, pouvait germer dans la tête d'un élu.
Le chemin du retour fut donc différent. Les navettes s'élevèrent au-dessus des Andes, offrant une vue plongeante sur des vallées isolées et des pics érodés par le temps. Cependant, les pentes des vallées étaient nues, les arbres décharnés par la mort massive causée par les nanites. Les plantes au sol semblaient dépérir, ajoutant une couche de tristesse à ce paysage autrefois majestueux. La lumière rasante du crépuscule jetait des ombres longues sur les crêtes, et l'étendue impressionnante de montagnes semblait s'étendre à l'infini.
En survolant l’océan Pacifique, les navettes longèrent des atolls et des ?lots isolés, vestiges d’anciens volcans engloutis. La couleur turquoise des eaux contrastait avec le ciel, mais même ici, l'absence de vie marine était frappante. Les navettes volaient bas pour éviter les risques de détection, tandis que le silence pesant de cet espace infini amplifiait la solitude du voyage.
Après de longues heures au-dessus des eaux, la silhouette des c?tes asiatiques apparut, baignant dans une brume dorée. La Tha?lande, jadis verdoyante, s'étendait en plaines fertiles et collines maintenant jonchées d’arbres morts. Les fleuves serpentaient entre les rizières abandonnées, devenues des champs stériles, et la désolation humaine accentuait l’étrangeté du paysage. Les rares plantes subsistantes semblaient l?tter pour leur survie, leurs feuilles flétries par une force invisible.
Traversant la mer d’Andaman, les navettes firent halte brève au-dessus de l’océan Indien avant d’atteindre l’Inde. Là, les plaines interminables s'étalaient à perte de vue, ponctuées de temples anciens. Alan, observant le paysage, nota avec tristesse que les nanites rongeaient également les dernières étendues d'herbes, transformant la terre en une mosa?que stérile. Les vestiges des cultures humaines semblaient se dissoudre dans un monde en déclin.
Enfin, les navettes s’élevèrent à nouveau pour traverser les hauteurs du Pamir et de l’Himalaya, où l’air devenait plus clair et froid. La majesté des montagnes était écrasante, mais ici aussi, les traces de destruction étaient visibles. Certaines zones, à des altitudes plus basses, étaient marquées par des sols étrangement asséchés. Seules les crêtes les plus hautes, étincelantes de neige, semblaient échapper à la dévastation.
La dernière étape les mena à travers la Turquie. La vue des Monts Ka?kar, leur Base, apporta un soulagement à l'équipage. Les montagnes étaient encore debout, mais les forêts qui les recouvraient étaient presque entièrement mortes, laissant place à des pentes nues. Les plantes restantes semblaient se battre pour chaque centimètre de sol épargné.
Les navettes se posèrent sur des emplacements supplémentaires préparés à cet effet. Alan retrouva Jennel dans la cour principale où les arrivants furent félicités de leur succès. Désormais neuf navettes reposaient sur et près de la Base. Jennel s'enquit de la mission.
? ?a s'est bien passé ? ? demanda-t-elle.
? Plut?t bien, mais nous avons d? faire respecter la loi, ? répondit Alan.
Jennel le regarda bizarrement, mais il la prit dans ses bras, l'embrassa et ajouta : ? Je dois aller parler à une copine. ?
Sur ces paroles, il partit à grands pas vers la salle de contr?le. Jennel, intriguée, le suivit et devina vite l'identité de la "copine". Alan s'assit et demanda :
? Léa, qu'arrive-t-il si un élu trouve la mort dans sa Base ? ?
Léa répondit : ? Cette Base se désactivera et ne pourra être réactivée que par un Elu d’une autre Base. Ce que vous venez de faire. ?
JENNEL
Je n’ai pas voulu perturber Alan avec mes soucis sur l’ambiance de la Base. Pourtant, c’est de plus en plus urgent. Il faut qu’il sache. Et je crois avoir des idées simples mais bonnes, voire très bonnes... Bon, disons bonnes.
Alan se tenait au centre de la grande salle du conseil, bras croisés, le regard attentif. Autour de lui, les principales figures de la Base s’étaient rassemblées. Les sept membres de l’ancien Conseil de Kaynak, Imre, Rose, Yael, Maria-Luisa, Bob, ainsi que plusieurs autres représentants influents du groupe étaient présents. Tous étaient curieux et quelque peu inquiets de la convocation soudaine à l’initiative de Jennel.
Elle se tenait debout à c?té d’Alan, le regard sérieux, manifestement préoccupée. Elle prit la parole d’une voix calme mais ferme.
? Merci d’être venus rapidement. Je vais être directe. Depuis quelques jours, je parle avec beaucoup d’entre vous, j’observe les réactions, j’écoute les inquiétudes. Et ce que je ressens, c’est que quelque chose ne va pas. Nous avons atteint un objectif essentiel : sécuriser un refuge s?r. Mais maintenant, un autre combat commence. Celui de la stabilité. Et si nous ne l’anticipons pas, nous allons au-devant de graves difficultés. ?
Jennel croisa les bras et balaya l’assemblée du regard avant de reprendre.
? Je vois déjà chez plusieurs d’entre nous une angoisse croissante liée à l’enfermement. Oui, la Base est immense, mais elle est aussi close. Certains commencent à ressentir un profond malaise. Ils ont besoin d’espace, d’air, d’un horizon. Pour certains, c’est supportable, mais pour d’autres, ?a devient une véritable détresse psychologique. On a vu des gens se réveiller en pleine nuit, en sueur, paniqués à l’idée d’être pris au piège. ?
Un silence s’installa. Certains acquiescèrent discrètement.
? Nous devons créer une solution pour leur donner l’illusion de l’extérieur. Je propose deux choses :
-
Utiliser les projecteurs holographiques pour simuler des paysages naturels dans les quelques parties communes mais aussi dans les slots. Une plaine, une mer, des forêts. Cela peut sembler futile, mais croyez-moi, ?a peut aider. Et Léa m'a assuré qu'il n'y aurait aucun problème.
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Organiser des sorties encadrées hors du champ de la Base. Je sais que c’est risqué, mais ne serait-ce que quelques heures à l’air libre, même dans un désert ravagé, peut donner une vraie bouffée d’oxygène à ceux qui en ont besoin. ?
Elle marqua une pause pour laisser aux autres le temps d’absorber ses paroles avant d’encha?ner.
Jennel inspira profondément.
? Le deuxième problème est plus insidieux, mais tout aussi important. Nous sommes dans un monde entièrement dépendant de Léa. Elle contr?le notre alimentation, notre confort, et même certaines décisions logistiques. Cela commence à inquiéter des gens. Certains refusent d’utiliser les synthétiseurs, d’autres craignent que l’IA nous manipule. ?
Nikos hocha la tête.
? J’ai déjà entendu ce genre de propos. Certains craignent que Léa cache des choses, voire qu’elle nous prive d’informations essentielles. ?
Jennel acquies?a.
? Exactement. Voici ce que je propose :
-
Créer une interface transparente. Actuellement, la plupart des interactions avec Léa sont vocales. Nous devons afficher certaines données accessibles à tous.
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Rassurer sur notre capacité à fonctionner sans elle. Ce n’est peut-être pas vrai à 100 %, mais si nous donnons l’impression que nous avons une solution de secours, cela calmera les esprits. ?
Elle jeta un regard vers Alan, qui l’écoutait attentivement.
Jennel se tourna vers Rose et Bob.
? Vous êtes les premiers à me l’avoir fait remarquer. Beaucoup de gens commencent à se demander à quoi ils servent. Avant, ils avaient une mission, un but clair : survivre, marcher, chercher la Source. Maintenant qu’ils sont ici, ils n’ont plus de repères. ?
Imre fron?a les sourcils.
? Tu veux dire qu’ils s’ennuient ? Après tout ce qu’ils ont traversé ? ?
? Oui. Si on n’agit pas, nous allons avoir des cas de dépression, et pire encore, des personnes qui deviennent un danger pour elles-mêmes ou pour les autres. ?
Alan hocha la tête.
? Que proposes-tu ? ?
? Nous devons organiser des r?les et donner une mission à chacun, même des taches symboliques comme entretien des espaces communs, apprentissage du pilotage, exploration des données de la Base… peuvent donner un sentiment d’utilité. Et aussi instaurer une routine quotidienne, avec des moments d’apprentissage, des réunions, et des activités physiques pour structurer le temps. ?
Elle regarda chaque personne présente, cherchant des signes d’opposition ou de soutien.
Alan se redressa et fixa Jennel avec un regard appréciateur.
? Tu as raison. Tous ces problèmes vont empirer si nous ne faisons rien.
Je vais être honnête, je découvre comme vous les propositions de Jennel qui me semblent toutes réalistes. Je pense qu’il faut les mettre en place rapidement car je sens aussi qu’il y a une urgence. Je ne souhaite pas nommer de personnes précises, je vous demande de vous y investir et d’amener autant de Survivants que possible pour réaliser les différents points. Je pense que Jennel pourra revenir avec vous sur toutes ses propositions. ?
Un murmure traversa l’assemblée, certains hochant la tête en signe d’acceptation, d’autres encore perplexes mais prêts à suivre les directives. Jennel eut un soupir de soulagement. Elle avait été écoutée.
La navette glissait silencieusement à travers l'air limpide. Sous elle, le paysage semblait prendre vie dans une explosion de couleurs irréelles. Alan et son équipe, silencieux, observaient à travers les parois translucides les montagnes surréalistes qui défilaient sous eux.
Les reliefs ondulaient en vagues de feu, striés de rouges profonds, d'orangés éclatants et de jaunes vifs. Par endroits, des plaques blanchatres trahissaient la présence de minéraux oxydés, sculptant un paysage à l’aspect presque extraterrestre. à mesure qu’ils avan?aient, les couleurs se fondaient en un kaléidoscope mouvant, comme si la terre elle-même avait été peinte à grands coups de pinceau.
Yael, fascinée, murmura :
? On dirait une autre planète… C'est la première fois depuis longtemps que quelque chose me semble vivant. ?
Mais cette vie n’était qu’illusion. La terre était sèche, craquelée par l’absence d’eau, et seuls quelques buissons rabougris s’accrochaient désespérément aux pentes dénudées. Il n’y avait aucun mouvement, aucun signe d’animaux, aucune ombre fugace trahissant une présence autre que celle des ruines minérales.
La navette descendit légèrement, longeant un ravin où les couleurs semblaient plus intenses encore, comme si le sol br?lait sous l’effet d’un feu invisible. Alan observait en silence, les machoires serrées. La beauté du paysage ne parvenait pas à masquer la réalité : ce lieu, comme tant d’autres, était mort.
Bob chuchota :
If you spot this story on Amazon, know that it has been stolen. Report the violation.
? Un endroit pareil aurait été un paradis pour les scientifiques… Il y a encore quelques années. ?
Alan hocha la tête, puis leva légèrement la main vers la console.
? On ne s’attarde pas. ?
La navette s’éleva doucement, abandonnant derrière elle ce désert flamboyant, un dernier éclat de couleurs sous un monde qui s’éteignait lentement.
Quelques minutes passèrent.
La navette descendit lentement, effleurant les courants d’air du crépuscule. Le paysage s’ouvrait devant eux comme une toile irréelle, où l’eau miroitante captait les derniers rayons du soleil, les diffusant en reflets dorés et écarlates. Alan ajusta la trajectoire, stabilisant l’appareil alors qu’ils survolaient une étendue marécageuse, constellée d’?lots couverts d’une végétation rougeoyante.
? Regardez ?a, ? souffla Yael, fascinée.
Les bassins scintillaient sous eux, formant un damier de flaques peu profondes séparées par des langues de terre sombres. Par endroits, de hautes herbes dorées jaillissaient du sol humide, ondulant sous l’effet du vent qui balayait la plaine. Les couleurs éclataient en contrastes saisissants : le bleu limpide du ciel, le rouge intense des buissons, le jaune bruni des hautes herbes et le gris argenté de l’eau stagnante.
La navette suivit le contour des bassins, se rapprochant du sol en évitant les reflets aveuglants du soleil couchant. Plus loin, à gauche, la plaine s’étendait, sèche et immuable, menant à la Base qui se détachait sur l’horizon.
Alan annon?a :
? Nous arrivons. Trouvons un terrain stable pour l’atterrissage. ?
La navette se posa avec douceur sur une zone dégagée à proximité des bassins. Un instant, tout sembla suspendu dans un silence irréel, seulement troublé par le murmure du vent glissant sur l’eau immobile.
Ils découvraient ainsi la troisième Base marquée en bleu par Léa.
La navette d'Alan et les deux autres qui l'escortaient avaient activé leur champ d'invisibilité dès qu'il fut clair que l'approche de la Base était inquiétante : celle-ci ne possédait pas de champ de répulsion ou celui-ci n'était pas activé. Elles s'étaient donc posées à bonne distance.
Alan, rejoint par Imre, forma un groupe de six combattants, laissant les autres avec Bob et Yael pour garder les navettes.
Le crépuscule jetait ses dernières lueurs sur la plaine, teintant l’horizon de nuances de cuivre et de pourpre. Alan ajusta son équipement et jeta un regard vers ses compagnons. Imre se tenait à ses c?tés, son expression dure et concentrée, tandis que les six combattants, dont Leila et Mehmet, vérifiaient silencieusement leurs armes. Derrière eux, les trois navettes, invisibles aux yeux extérieurs, reposaient immobiles comme des ombres furtives.
? On reste groupés et silencieux. Si cette Base n’a pas de champ de répulsion, c’est qu’elle est soit inactive, soit sous contr?le hostile, ? chuchota Alan. Imre hocha la tête et fit signe aux autres d’avancer.
Ils s’enfoncèrent dans la plaine, la végétation rase amortissant leurs pas. Le sol était spongieux par endroits, témoignant des marais qui s’étendaient plus loin, près des bassins rougeoyants. Le vent s’était levé, sifflant doucement à travers les herbes sèches et soulevant de fines volutes de brume au-dessus des zones les plus humides.
à mesure qu’ils progressaient, l’obscurité s’épaississait, effa?ant progressivement les contours des collines au loin. Ils avan?aient prudemment, leurs silhouettes se fondant dans le décor mouvant des ombres. L’absence de toute lumière venant de la Base renfor?ait le malaise ambiant.
? C’est un piège, ? murmura Mehmet, scrutant l’obscurité.
Alan ne répondit pas immédiatement. Quelque chose clochait. Si cette Base était abandonnée, pourquoi n’y avait-il aucun signe d’occupation, pas même un feu ou une lumière diffuse ? Si elle était contr?lée, pourquoi aucune patrouille, aucun mouvement suspect à l’horizon ?
Ils atteignirent une petite butte surplombant un plateau en contrebas. Alan s’accroupit et leva une main pour signaler l’arrêt.
? Regardez, ? souffla-t-il.
En contrebas, la Base apparaissait enfin, une silhouette sombre et massive aux contours vaguement illuminés par la lumière de la lune. Elle semblait intacte, mais inerte, figée dans un silence spectral. Aucun signe de vie. Aucune présence visible.
Un long frisson parcourut l’échine d’Alan.
? On s’approche en restant couverts. Si c’est une embuscade, on ne leur laissera pas l’avantage. ?
Sans un bruit, ils descendirent la pente, disparaissant un à un dans l’obscurité.
Alan avan?ait en tête, son regard fixé sur l’imposante structure qui se découpait dans l’obscurité. La Base, massive et silencieuse, s’élevait devant eux comme une citadelle abandonnée, ses parois lisses reflétant à peine la lumière blafarde de la lune. L’absence totale d’éclairage renfor?ait l’impression de vide, mais l’équipe connaissait suffisamment l’architecture des Bases pour savoir exactement où se diriger.
Ils progressaient lentement, contournant des blocs de roche et des zones de terrain inégal. Le vent, chargé d’humidité, sifflait à travers les coursives désertes, soulevant parfois des nuages de poussière et de cendres qui semblaient danser sous la faible lumière nocturne.
C’est Imre qui s’arrêta le premier, son pied butant contre quelque chose de rigide.
? Merde, ? souffla-t-il.
Tous s’immobilisèrent. Alan se pencha et éclaira du regard ce qui gisait au sol. Un corps. Puis un autre. Deux cadavres en uniforme, leurs vêtements déchirés, mais l’expression n’était pas celle de la surprise ou de la panique. Ils étaient tombés les armes à la main, figés dans des postures qui ne laissaient aucun doute : ils s’étaient battus jusqu’au bout.
? Regardez là-bas, ? chuchota Mehmet en désignant les ombres plus loin.
D’autres corps, éparpillés, certains adossés contre les murs, d’autres en position de tir. L’odeur acre du sang et du métal s’accrochait à l’air immobile. Alan s’accroupit près d’un des cadavres et écarta les lambeaux de tissu qui couvraient son torse. Une blessure nette traversait le c?té.
Imre siffla entre ses dents. ? ?a ressemble à une exécution en combat rapproché. Ils ont eu une vraie bataille ici. ?
Alan se releva et fit signe à Imre. ? On a besoin de lumière. ?
Imre fouilla dans sa sacoche et en sortit plusieurs batons lumineux. Il en tordit un, puis un autre, et une lueur verdatre s’en échappa, pulsant doucement dans l’obscurité. Il en lan?a deux à ses hommes, qui les distribuèrent à tour de r?le.
Les premiers rayons de lumière révélèrent un véritable carnage. Les murs étaient criblés d’impacts, des morceaux de métal fondu et de verre brisé jonchaient le sol. Partout, des traces de lutte : des barricades de fortune, des armes abandonnées, des équipements saccagés.
? Ce n’était pas un massacre unilatéral, ? observa Mehmet en montrant une série de traces de pas brouillées dans la poussière. ? Deux groupes distincts se sont battus ici. Et il n’y a pas que des morts. ?
Alan jeta un regard autour de lui. ? Si les Survivants ont fui, ils n’ont pas pris grand-chose avec eux. ?
Ils avancèrent lentement à travers le hall d’entrée. La scène se répétait à chaque coin de couloir : barricades de fortune, amas de cadavres, matériel abandonné. Certaines portes étaient fracturées, d’autres scellées par des soudures grossières, comme si on avait tenté de contenir quelque chose.
Après plusieurs minutes de progression, ils atteignirent enfin la salle de contr?le.
Le spectacle était le même. Mais au centre, dominant l’ensemble, le grand d?me central tr?nait, intact mais éteint, aussi inerte que le reste de la structure.
Alan fit lentement le tour du d?me, posa une main sur sa surface lisse et froide, et ferma brièvement les yeux.
? Qu’est-ce qui s’est passé ici… ? murmura Imre.
Personne ne répondit.
Imre observa longuement les cadavres et le champ de bataille silencieux. Il s’accroupit près d’un corps, examina l’arme serrée dans sa main, puis leva les yeux vers Alan.
? Deux camps, ? dit-il finalement. ? Celui de l’élu et un autre. Peut-être des dissidents, des envahisseurs, ou même des Survivants de l’extérieur. Ce qui est s?r, c’est que l’un d’eux était bien organisé, peut-être même mieux équipé que nous. Et regarde ces barricades, ces lignes de défense... ?
Alan hocha la tête, scrutant les marques de br?lure sur les parois métalliques.
? Le champ de répulsion a été désactivé, ? continua Imre. ? Mais était-ce sous la contrainte ? Un chantage, une infiltration, une erreur ? Ou est-ce juste une défaillance technique ? Tout est possible. ?
Alan réfléchit un instant, puis s’approcha du d?me central, imposant et silencieux. Il posa la main sur sa surface froide et s’immobilisa.
? Léa, tu me re?ois ? ? demanda-t-il en activant son communicateur.
La voix douce de l’IA résonna immédiatement. ? Je vous écoute, Alan. ?
? Peux-tu te connecter à l’IA de cette Base ? ?
Un bref silence suivit, puis Léa répondit :
? Négatif. Cette Base est en liaison directe avec le vaisseau en orbite via une connexion de sécurité. Je ne peux interférer tant que les règles de sécurité sont en place. ?
Alan serra la machoire. ? Et si nous appliquons les règles de la sélection Gull ? ?
Nouvelle pause, plus longue cette fois.
? Il y a un conflit. La sélection est faussée par les protocoles de sécurité active. Autorisations contradictoires détectées. ?
Un frisson parcourut la pièce. Un bruit mécanique, faible d’abord, monta en intensité, comme une vibration à peine perceptible. Puis, soudainement, le d?me s’illumina d’une lumière orange pulsante. Un anneau apparut au centre, flottant autour d’une tige dans un champ magnétique instable.
Alan, sans hésiter, tendit la main et s’en empara.
Autour de son doigt, les quatre anneaux apparurent, chacun plus fin que précédemment, contenant un pouvoir qu’il ne comprenait pas encore totalement.
Imre recula légèrement, observant la scène avec prudence.
"Tu viens de forcer la main aux Gulls, non ?"
Alan esquissa un sourire sans joie.
"Je viens surtout de leur rappeler leur propre logique. ?
La nuit tomba sur la Base désertée, enveloppant les ruines du combat dans une obscurité profonde et pesante. Le groupe décida d’attendre l’aube avant de prendre une décision. Les corps étaient là, éparpillés dans le silence, et l’atmosphère était lourde de tension.
Imre répartit les tours de garde, désignant Mehmet pour le premier. Il s’installa à l’entrée principale, le dos contre un mur, tenant son arme serrée entre ses mains. L'obscurité semblait vivante, oppressante. Le moindre bruit, un souffle de vent ou un écho lointain, le faisait sursauter. Il avait vu des champs de bataille, mais jamais un lieu aussi figé dans le chaos, comme si la Base elle-même retenait son souffle.
Son esprit vagabondait. Qui avait attaqué qui ? Les assaillants avaient-ils réussi à s’enfuir, ou bien leurs corps gisaient-ils quelque part, dans l’ombre, à l’intérieur de la Base ? Le d?me réactivé allait-il provoquer une réaction du vaisseau en orbite ? Et surtout, étaient-ils réellement seuls ici ?
Les heures passèrent, longues et silencieuses, ponctuées seulement par le changement de garde. Quand le soleil pointa enfin à l’horizon, projetant une lumière pale à travers les structures éventrées, ils se préparèrent à partir.
Leur premier constat fut amer : sur les trois navettes présentes sur place, une seule était en état de vol. Les autres avaient subi des dommages lors des combats ou étaient tout simplement hors d’usage, probablement à cause de sabotages.
? On prend celle qui fonctionne et on rentre, ? déclara Alan en tapant du poing sur la carlingue du vaisseau intact.
Ils montèrent à bord, et Alan programma un itinéraire de retour différent, afin d’éviter toute interception. La navette s’éleva rapidement, rejoignit les trois autres et prit une trajectoire vers le nord-est, longeant d’abord la c?te du Pacifique avant d’entrer dans l’espace aérien russe. Les plaines de Sibérie s’étendaient à perte de vue sous eux, les forêts avaient presque totalement disparu, leurs squelettes noircis marquant le sol comme les vestiges d’une ancienne époque.
L’altitude de vol basse leur permit d’observer des villes fant?mes, leurs structures encore debout mais vidées de toute vie, englouties par la neige ou les tempêtes de glace. Au-dessus du cercle polaire, la nuit fut brève, et ils continuèrent leur vol en direction de la Norvège.
En survolant la mer de Barents, la navette longea la c?te norvégienne, ses fjords majestueux s’ouvrant sous eux, mais dépeuplés et silencieux. Le reflet du soleil sur les eaux glacées accentuait ce sentiment d’un monde figé dans une fin interminable.
Ils obliquèrent ensuite vers le sud, traversant rapidement la Baltique et pénétrant l’espace aérien de l’Europe centrale. L’Allemagne, puis la mer égée s’étendirent sous eux, avant qu’ils ne plongent en direction des Monts Ka?kar, leur Base enfin en vue. Les navettes se posèrent en douceur sur les emplacements prévus. Alan fut le premier à descendre de la sienne, suivi d’Imre et du reste de l’équipe.
Jennel les attendait devant la grande porte de la Base, bras croisés, impatiente. Son visage se détendit en les voyant sains et saufs, mais son regard restait inquiet.
? Alors, ?a s’est bien passé ? ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.
Alan hocha la tête avec un sourire fatigué. ? Disons qu’on a trouvé la Base. Mais elle n’était pas exactement… habitée. ?
Jennel n’insista pas, mais elle n’était pas dupe. Ils avaient vu quelque chose d’important.
? Pendant que vous étiez partis, ? poursuivit-elle, ? une de nos patrouilles au-dessus de la péninsule arabique a détecté quatre navettes en formation, volant vers l’Inde. Elles venaient du sud. ?
Un silence s’installa. Puis, lentement, Alan, Imre et les autres se mirent à sourire.
? Nous ne sommes pas les seuls à jouer, ? dit Imre, amusé.