home

search

14 - Le Don dIngrid

  L’atmosphère était feutrée dans le petit appartement attenant à la salle de contr?le. La lumière tamisée des synthétiseurs muraux projetait une lueur chaude sur les parois, donnant à l’endroit un aspect presque accueillant malgré la gravité de la conversation.

  Alan, assis sur le canapé minimaliste, venait de terminer son récit. Jennel, adossée à la table, bras croisés, le regardait en silence. L’histoire était lourde, macabre. L’odeur du sang séché semblait encore flotter dans l’air entre eux, même si Jennel n’avait jamais quitté la Base.

  Elle finit par secouer la tête, soupirant doucement.

  ? Tu sais quoi ? Pour une fois, je suis contente de ne pas être venue. ?

  Alan haussa un sourcil, un sourire sans joie effleurant ses lèvres.

  ? Je ne vais pas te mentir, moi aussi. Mais au-delà de l’horreur, il y a des enseignements à tirer. ?

  Jennel hocha la tête, attendant la suite.

  Premièrement, nous avons la confirmation que les règles de la sélection Gull sont prioritaires sur certaines règles de sécurité. ?a nous donne une marge de man?uvre si nous savons comment l’exploiter.

  Elle fron?a les sourcils.

  ? Prioritaires sur quoi exactement ? ?

  ? Sur tout ce qui touche à l’organisation des Bases. ?a veut dire que si nous sommes capables de nous insérer dans leur logique, nous pouvons court-circuiter certains blocages. ?

  Jennel acquies?a lentement.

  ? Et le deuxième enseignement ? ?

  Alan s’appuya contre le dossier du canapé, fixant le plafond un instant avant de répondre.

  ? Les IA des Bases, comme Léa, sont subordonnées à celle du vaisseau en orbite. ?

  Cette fois, Jennel se redressa.

  ? ?a, c’est un problème. ?

  Alan haussa les épaules.

  ? ?a peut être un problème, ou une opportunité. Tout dépend de comment nous l’exploitons. Pour l’instant, je ne sais pas encore quoi en faire. ?

  Un silence s’installa. Puis Alan se tourna vers Jennel.

  ? Et toi ? Où en sont les mesures de stabilité de la Base ? ?

  Jennel eut un mouvement de recul, surprise par la question.

  ? Franchement… ?a me para?t tellement secondaire en comparaison de ce que tu viens de raconter. ?

  Alan fron?a les sourcils et s’inclina légèrement vers elle.

  ? Non. Pas du tout. C’est aussi important que la quête des anneaux, sinon plus. Nous ne pouvons pas avancer si la Base ne tient pas. Qu’as-tu mis en place ? ?

  Jennel hésita, puis soupira avant de s’asseoir à ses c?tés.

  ? D’accord, écoute. Déjà, on a organisé des promenades en montagne. Peu importe la condition physique, tout le monde peut y aller grace aux nanites. ?a donne un peu d’air, une impression de liberté. ?

  Alan hocha la tête.

  ? Bien. Et ? ?

  Elle esquissa un sourire.

  ? On a aussi mis en place des sessions explicatives sur le fonctionnement des systèmes vitaux de la Base. Léa nous aide en rendant ?a plus convivial. Il y a des démonstrations, des échanges, et ?a rassure les gens sur leur avenir ici. ?

  Alan la regardait avec une attention renouvelée.

  ? Tu vas plus loin que je ne l’imaginais. ?

  Jennel eut un petit sourire.

  ? Ce n’est pas tout. On a commencé à utiliser les enregistrements des vols de navettes pour projeter des hologrammes dans les secteurs communs et même dans les slots. ?a permet aux gens de voir autre chose que ces murs. La mer, les montagnes, les villes disparues... ?

  Alan l’observa avec une lueur de fierté dans le regard.

  ? C’est génial, Jennel. ?

  Elle haussa les épaules.

  ? On réfléchit aussi à la création de groupes d’activités pour éviter l’isolement. Mais c’est encore en cours. ?

  Alan posa une main sur la sienne.

  ? Tu fais un travail incroyable. On ne peut pas batir un avenir sans donner du sens au présent. ?

  Jennel, émue par l’enthousiasme sincère d’Alan, se rapprocha légèrement de lui. Leur échange changea imperceptiblement de ton.

  ? Tu sais, ce que je suis devenue... c’est surréaliste. ? murmura-t-elle.

  Alan la regarda attentivement.

  ? Qu’est-ce que tu veux dire ? ?

  Elle inspira profondément, cherchant ses mots.

  ? J’ai changé à un point où, parfois, je me demande si tout ?a est réel. Si ce monde n’est pas juste… une simulation, une illusion créée pour nous maintenir ici. Et si tout ?a… si nous… n’étions que des fragments de quelque chose d’autre ? ?

  Alan prit son temps avant de répondre.

  ? Tu fais une erreur de raisonnement, Jennel. ?

  Elle releva les yeux vers lui.

  ? Laquelle ? ?

  ? Tu distingues encore un 'avant' et un 'après'. La Vague, les nanites, les Gulls… tu vois tout ?a comme une rupture, un effondrement suivi d’un réveil. Mais ce n’est pas comme ?a que fonctionne l’histoire. Il n’y a pas d’ancienne réalité et de nouvelle. Il y a juste un encha?nement d’événements. Ce monde n’est pas une illusion. Il est la suite logique de ce qui l’a précédé. ?

  Jennel baissa les yeux, pensive.

  ? Donc… il n’y a pas de réveil possible. ?

  Alan secoua la tête.

  ? Ni à espérer, ni à craindre. ?

  Elle se tut un instant, puis se laissa aller contre lui, posant sa tête sur son épaule.

  ? Alors il faut faire avec. ?

  Alan sourit doucement.

  ? Oui. Et tu le fais mieux que quiconque. ?

  Ils restèrent ainsi un moment, silencieux, deux Survivants d’un monde qui continuait à se réinventer sous leurs yeux.

  Ce matin-là, un froid vif régnait sur la Base, et les Survivants préféraient rester à l’abri dans leurs slots. Les projecteurs holographiques diffusaient des programmes variés pour occuper les esprits : des images détaillées des plantes extraterrestres cultivées dans les jardins de la Base, des séquences impressionnantes des navettes survolant les montagnes de l’Alta?, filmées lors des dernières missions. L’atmosphère était calme, presque figée par le froid mordant qui s’infiltrait malgré le système de régulation thermique de la cité.

  Une silhouette apparut dans l’entrée du premier étage de la tour centrale. Une femme, grande et athlétique, avan?ait d’un pas assuré. Sa chevelure blonde était tressée d’une manière pratique, et son regard clair parcourait l’espace avec une concentration presque militaire. Elle portait une tenue sobre mais fonctionnelle, un mélange de vêtements d’expédition et d’adaptations faites sur place, sans fioritures inutiles.

  Elle s’arrêta en apercevant une autre femme, debout face à un terminal, les mains croisées dans son dos.

  ? Je voudrais voir Alan. ? lan?a-t-elle d’une voix légèrement rauque par le froid.

  La femme qu’elle interpellait ne bougea pas immédiatement. Après un court silence, elle se retourna lentement, un sourire amusé aux lèvres.

  ? Je ne suis pas sa secrétaire. ?

  La Norvégienne se figea un instant avant d’écarquiller légèrement les yeux en reconnaissant Jennel.

  ? Je suis désolée, je ne vous avais pas reconnue… ?

  Jennel conserva son sourire mais n’ajouta rien, observant son interlocutrice avec une curiosité prudente.

  ? Je m’appelle Ingrid. ? finit par dire la blonde d’un ton plus mesuré. ? J’étais à Oslo quand tout a commencé. J’ai suivi un Voyant qui nous a menés loin vers l’est… jusqu’à Minsk. ?

  Son regard se voila légèrement avant qu’elle ne reprenne.

  ? Il s’est fait tuer là-bas. J’ai fini par me résigner à suivre son meurtrier. Lui aussi était un Voyant. ?

  Jennel plissa imperceptiblement les yeux.

  ? Tu t’es résignée ? ?

  Un sourire sans joie effleura les lèvres d’Ingrid.

  ? Disons que je ne devais pas être son genre. Sinon… j’aurais d? user de mon don. ?

  Elle laissa planer un silence. Jennel, attentive, ne la pressa pas, laissant Ingrid exprimer ce qu’elle était venue dire.

  ? Est-ce qu’Alan sait qu’il y a quelques personnes ici qui possèdent des dons inhabituels ? ?

  Jennel haussa légèrement un sourcil.

  ? Quels genres de dons ? ?

  ? Pas très utiles, souvent. Mais certains le sont. ?

  Elle marqua une pause, fixant Jennel avec intensité.

  ? Comme le mien. ?

  Jennel croisa les bras, le regard per?ant.

  ? Et c’est quoi, ton don, Ingrid ? ?

  Ingrid planta son regard clair dans celui de Jennel et déclara d’un ton tranquille :

  ? Je peux implanter des idées fixes dans la tête des gens… jusqu’à ce qu’ils les réalisent. ?

  Jennel, interloquée, la fixa un instant, cherchant à deviner si elle plaisantait.

  ? Tu veux dire que tu peux manipuler les pensées des autres ? ?

  ? Pas exactement. Je ne peux pas leur faire faire ce qu’ils ne veulent pas… mais je peux intensifier une idée, la rendre persistante, jusqu’à ce qu’elle devienne une obsession… et que la personne finisse par agir. ?a ne marche pas à tous les coups, mais souvent. ?

  Jennel fron?a les sourcils, intriguée.

  ? Montre-moi. ?

  Ingrid hésita, puis eut un sourire en coin.

  ? Je n’oserais pas… ?

  Jennel ouvrit la bouche pour insister, mais en même temps, elle sentit une légère démangeaison et leva instinctivement la main pour se frotter les yeux. Ingrid éclata de rire.

  ? Et voilà. ?

  Jennel baissa lentement la main, réalisant l’absurdité de son geste. Il n’y avait eu aucune raison de se gratter les yeux… mais l’idée s’était imposée d’elle-même, irrésistible.

  ? Tu fais ?a souvent ? ? demanda-t-elle en croisant les bras.

  The author's narrative has been misappropriated; report any instances of this story on Amazon.

  ? Rarement. ?a me donne des migraines épouvantables que même les nanites ont du mal à calmer. Une fois, j’ai d? prendre de l’aspirine… c’est dire ! ?

  Jennel laissa échapper un petit rire amusé.

  ? Et avec Alan ? ?

  Ingrid perdit un peu de son assurance et détourna brièvement les yeux.

  ? J’ai… essayé. Juste une fois. Pour obtenir une bonne place pour un tour en navette. ?

  ? Et alors ? ?

  Ingrid soupira et secoua la tête avec un sourire ironique.

  ? J’ai gagné une nausée carabinée et une place pourrie. ?

  Jennel éclata de rire tandis qu’Ingrid ajoutait en haussant les épaules :

  ? Tu as un dr?le de mec ! ?

  ? Je suis au courant. ? répondit Jennel avec un sourire.

  Jennel croisa les bras et fixa Ingrid avec curiosité.

  ? Tu connais d’autres Survivants ayant des dons… intéressants ? ?

  Ingrid fit mine de réfléchir, puis haussa un sourcil amusé.

  ? Oh oui, j’en vois au moins deux : Roberto et András. ?

  Jennel pencha la tête, attendant la suite.

  ? Roberto fait des pates excellentes, les meilleures. ?

  Jennel éclata de rire.

  ? Un talent inestimable, en effet ! ?

  ? Ne te moque pas ! Dans ce monde, bien manger, c’est un luxe. ?

  Jennel secoua la tête avec un sourire.

  ? Et András ? ?

  ? Lui, c’est plus sérieux. Il perturbe les capacités linguistiques des nanites. ?

  Jennel plissa les yeux, intriguée.

  ? Comment ?a ? ?

  ? Quand il parle à quelqu’un, il peut altérer la compréhension des nanites. Par exemple, il peut rendre les traductions automatiques inutilisables ou faire en sorte qu’une personne entende un mot pour un autre. C’est subtil, mais… perturbant. ?

  Jennel hocha lentement la tête.

  ? ?a, c’est intéressant. ?

  Ingrid sourit.

  ? Je me disais bien que ?a te plairait. ?

  Elles se dirigèrent vers une table et demandèrent à Léa deux cafés. La machine synthétisa la boisson et Jennel porta la tasse à ses lèvres.

  ? Mouais… Il faudra encore du travail pour égaler le chocolat. ? dit-elle en grima?ant.

  Ingrid souffla sur son café, hocha la tête en go?tant.

  ? Léa, prends des notes. ? plaisanta-t-elle.

  Jennel posa sa tasse et changea de sujet :

  ? Vous êtes venus par la terre, alors ? ?

  Ingrid secoua la tête.

  ? Non. J’ai quitté Oslo avec un groupe de survivants. On a traversé la Suède, puis le Danemark, et on est descendus en Pologne. Là, on a pris la route vers l’Ukraine, toujours en évitant les grandes villes. ?

  Jennel arqua un sourcil.

  ? L’Ukraine ? Vous avez traversé tout le pays à pied ? ?

  ? Pas entièrement. On a trouvé des vélos… On a improvisé. Mais c’était risqué. Trop risqué. On savait qu’il y avait encore des groupes armés désorganisés ici et là. ?

  Elle soupira avant de poursuivre :

  ? Finalement, on a atteint la c?te sud. Un port fant?me, quelque part près d’Odessa. Là, on a trouvé un vieux voilier en état de naviguer. On n’était que trois à avoir quelques notions de navigation, et encore, rien de sérieux. Mais on n’avait pas d’autre choix. La route terrestre vers la Turquie nous paraissait trop dangereuse. ?

  Jennel sentit un frisson lui parcourir la nuque.

  ? Comment ?a s’est passé ? ?

  Ingrid eut un rire amer.

  ? Horrible. On a embarqué à douze, la mer était calme au départ, et puis… la tempête. ?

  Elle baissa légèrement les yeux, la machoire crispée.

  ? Une nuit entière à lutter contre les vagues. On n’y voyait rien, l’eau s’engouffrait à l’intérieur, et la coque mena?ait de se briser. ?

  Elle marqua une pause avant d’ajouter d’une voix plus basse :

  ? Cinq sont tombés à l’eau. On n’a rien pu faire. ?

  Jennel déglutit difficilement.

  ? Et vous ? ?

  ? On a dérivé toute la nuit, ballottés comme des pantins. Le matin, la tempête s’est calmée, mais le bateau était à moitié inondé, la voile en lambeaux. On était à bout de forces. ?

  ? Comment avez-vous survécu ? ?

  ? On a aper?u la c?te bulgare. On a ramé comme des fous avec tout ce qu’on pouvait. Finalement, on a échoué sur une plage. C’était fini. ?

  Un silence pesant s’installa entre elles. Jennel fixa son café, cherchant quelque chose à dire.

  ? Désolée. ? murmura-t-elle finalement.

  Ingrid haussa les épaules, un sourire triste aux lèvres.

  ? C’est du passé. On a survécu. ?

  Jennel acquies?a doucement. Il y avait tant d’histoires comme celle-là… Trop.

  Jennel posa sa tasse sur la table et observa Ingrid avec attention.

  ? Tu penses qu’il peut y avoir d’autres personnes avec… des dons, ici, dans la Base ? ?

  Ingrid haussa les épaules, son regard perdu un instant dans la vapeur de son café.

  ? Je ne sais pas. Ce n’est pas forcément le genre de choses qu’on crie sur tous les toits, pas vrai ? ?

  Jennel acquies?a.

  ? C’est vrai. Mais tu crois qu’il faudrait chercher ? ?

  Ingrid réfléchit un instant, puis répondit :

  ? Peut-être. Mais ce n’est pas évident. Certains ignorent peut-être même qu’ils ont une capacité particulière. Et d’autres, comme moi, préfèrent ne pas en parler… à cause du regard des autres, ou par prudence. Mais ce qui est s?r, c’est qu’il doit y en avoir dans les autres Bases. Statistiquement, ?a para?t évident. ?

  Jennel hocha lentement la tête, l’idée germait déjà dans son esprit.

  ? Il faudra qu’on en parle à Alan. Reviens demain matin, il sera là. ?

  Ingrid sourit en terminant son café.

  ? Avec plaisir. ?

  Elle se leva, jeta un dernier regard vers Jennel, puis s’éloigna d’un pas tranquille, la laissant à ses réflexions.

  Alan et Johnny donnaient un coup de main à Jennel : ils organisaient des baptêmes de l'air en navette, un tour d'une dizaine de minutes au-dessus des montagnes et des vallées autour de la Base. L'idée était simple : offrir aux Survivants un moment de légèreté et d'évasion, un instant où ils pouvaient contempler le monde d'en haut et oublier, ne serait-ce que quelques minutes, la situation dans laquelle ils vivaient. Cependant, le succès fut tel que gérer les rotations devint un casse-tête. Alan et Johnny, debout près d'un tableau d'affichage holographique, tentaient tant bien que mal d'établir un planning qui satisferait tout le monde.

  Jennel notait les noms et les horaires à mesure que les Survivants se présentaient, leur sourire parfois mêlé d'excitation, parfois teinté d'appréhension.

  ? On ne pourra pas caser tout le monde aujourd'hui, ? fit remarquer Johnny en parcourant la liste.

  ? On pourra toujours en faire plus demain, ? répondit Jennel, concentrée sur son organisation.

  Alan hochait la tête, ajustant les horaires, quand une voix s'éleva brusquement dans l'air autour d'eux, froide et impérieuse.

  ? Commandant, une navette inconnue s'approche en droite ligne de la base. Arrivée dans neuf minutes. J'active les mesures de sécurité que vous avez prévues. ?

  Léa venait d'intervenir.

  Alan sentit son estomac se contracter en entendant ces mots. Une navette inconnue, approchant en ligne droite… Ce n’était pas une visite anodine.

  L’alerte s’était déclenchée instantanément, et déjà, les protocoles de sécurité étaient en place.

  ? Affichage de la trajectoire. ? ordonna-t-il, les yeux rivés sur la carte que Léa projetait devant lui.

  Sur l’hologramme, les deux navettes de patrouille, qui survolaient tranquillement les montagnes environnantes, avaient modifié leur route pour converger rapidement vers la position de l’intrus.

  Au sol, la réaction fut encore plus rapide. Quatre des navettes d’alerte, stationnées en attente sur les aires d’atterrissage improvisées de la Base, s’élevèrent brusquement dans les airs, formant un périmètre défensif autour du site. Dans le même temps, les équipes de sécurité d’Imre se mettaient en place, enfilant leurs équipements et se positionnant aux entrées stratégiques.

  Léa continua son rapport :

  ? Les quatre autres navettes sont en phase de rappel. Déploiement des unités au sol en cours. ?

  Alan se retourna vers Johnny et Jennel, qui avaient cessé toute organisation des baptêmes de l’air. Jennel lisait la situation sur son visage. Il n’avait pas besoin de parler pour qu’elle comprenne.

  ? Tu veux que je reste ici ? ? demanda-t-elle.

  Alan hésita. Puis il fit non de la tête.

  ? Non, viens avec moi. ?

  Ils partirent en hate vers la salle de contr?le, où Bob et Yael les attendaient déjà, observant la situation sur les écrans. L’air était électrique.

  ? Léa, demande une identification. ? lan?a Alan.

  Un instant plus tard, l’IA répondit :

  ? J’ai un contact, commandant. Il demande une communication holographique avec l’Elu. ?

  Alan échangea un regard rapide avec Jennel.

  ? C’est une méthode trop voyante, ? murmura-t-elle.

  ? Je sais, ? répondit-il, fron?ant les sourcils. ? Personne ne prendrait le risque de communiquer ainsi… sauf s’il veut être certain que nous l’écoutons, et pas que nous. ?

  Il inspira profondément avant de se lever et de se diriger vers la plateforme de communication holographique.

  ? Très bien, allons-y. ?

  La pièce s’obscurcit légèrement, et une image tridimensionnelle s’anima au centre de la salle. Deux silhouettes apparurent dans une projection nette, entourées de légères interférences dues à la transmission.

  L’homme était grand, au visage anguleux, à la peau sombre. Il portait un uniforme sobre mais élégant, similaire à celui d’Alan, quoique dans une nuance plus sombre. à ses c?tés, une femme noire au port altier, aux cheveux ras, habillée d’un vêtement ajusté au style militaire, mais dépourvu d’ornements superflus.

  ? Salutations, ? déclara l’homme d’une voix posée. ? Mon nom est Thabo, je suis l’élu du Karoo, et voici Awa, l’élue du Comoé. Nous venons pacifiquement prendre contact. ?

  Alan observa attentivement leurs expressions. Pas d’agressivité visible, pas de tensions apparentes, mais une vigilance perceptible dans leurs regards.

  Il croisa les bras et répondit d’un ton mesuré :

  ? Je suis Alan, l’élu des Monts Ka?kar. Votre venue est une surprise. ?

  Un instant de silence s’écoula. Jennel, aux c?tés d’Alan, fixait les nouveaux venus avec intensité, cherchant à deviner leurs intentions derrière leurs visages impassibles.

  Le premier contact était établi. Restaient à en comprendre les véritables enjeux.

  La navette des élus se posa à l’extérieur du champ de répulsion, surveillée par celles de la Base. La pluie qui mena?ait depuis la fin de la matinée fit son apparition, formant un rideau humide et rendant l’atmosphère plus pesante. L’air était saturé d’humidité, et les gouttes d’eau formaient de petites rigoles sur le sol durci.

  Thabo et Awa descendirent de la navette avec une élégance contenue, se tenant droits sous la pluie battante. Ils attendirent à la limite du champ de répulsion, observant autour d’eux avec un mélange de prudence et de curiosité. Lorsque le champ se dissipa localement, une silhouette apparut dans l’ouverture : Jennel leur indiquait le chemin à suivre. Derrière elle, des gardes d’Imre les accompagneraient à distance respectueuse, leurs armes non levées mais prêtes.

  La pluie redoubla alors qu’ils progressaient, l’eau s’infiltrant dans les tissus et ruisselant sur leurs visages. Jennel, arrivée à l’entrée principale, s’arrêta sous le porche monumental, un peu à l’abri des trombes d’eau. Elle croisa les bras et attendit que les deux visiteurs la rejoignent avant de déclarer avec un sourire indéchiffrable :

  ? Je ne voudrais pas que vous m’accusiez de vouloir vous noyer. ?

  Thabo et Awa échangèrent un regard avant que Awa ne réponde :

  ? Il est vrai que toute cette eau, c’est inhabituel. ?

  Thabo renchérit, en secouant doucement la tête :

  ? De même que la température. Mais nous sommes ici pour parler à Alan, pas du climat. ?

  Jennel inclina légèrement la tête avant de répliquer, son ton devenant plus sérieux :

  ? Vous parlerez à Alan dès que j’aurai des réponses satisfaisantes à mes deux questions. Pourquoi êtes-vous ici ? Et pourquoi, Thabo, avez-vous l’anneau d’Awa ? ?

  Thabo, agacé par la posture de Jennel, fron?a les sourcils et lan?a d’une voix impatiente :

  ? Vous êtes qui ? ?

  Jennel ne se laissa pas démonter. Elle soutint son regard avec calme, son expression neutre, légèrement teintée d’amusement.

  ? Votre h?tesse d'accueil qui attend les réponses. ?

  Un silence pesa quelques instants sous la pluie battante. Awa et Thabo échangèrent un regard incertain. L’averse ruisselait sur leurs visages, et leurs vêtements détrempés collaient à leur peau, mais aucun des deux ne semblait vouloir rompre la tension qui s’installait.

  Thabo croisa les bras, ses machoires se contractant, tandis qu’Awa, après un soupir, répondit enfin :

  ? Je lui ai remis mon anneau car le r?le d’élue n'était pas fait pour moi et que la Base de Comoé devenait difficile à ma?triser. ?

  Jennel inclina légèrement la tête, ses yeux per?ants se posant avec intensité sur Awa.

  ? Cette réponse est illogique, Awa, ? rétorqua-t-elle.

  Awa plissa les yeux, surprise par l’assurance de Jennel.

  ? Seulement dans le contexte de la compétition, ? poursuivit Awa. ? Mais avant votre venue, et après la neutralisation de la Base de l'Alta?, il n'y avait plus de Sélection possible donc pas de compétition.

  Mais c'était apparemment une erreur de croire qu'elle était hors service. ?

  Thabo préféra couper court à cette joute verbale.

  ? Nous venons essayer de comprendre l’étrangeté de votre croissance rapide et comment vous avez ranimé la Base asiatique. ?

  Jennel arqua un sourcil, devinant que leur curiosité était plus qu’un simple désir de savoir.

  ? Que comptez-vous tirer de ces renseignements ? ?

  Awa détourna brièvement le regard, comme pour peser ses mots, mais Thabo, fidèle à son caractère, répondit avec un rictus :

  ? Une chance à saisir, peut-être. ?

  Jennel n’avait pas besoin d’interpréter leurs mots. Elle lisait à livre ouvert les Spectres de Thabo et d’Awa, détectant derrière leurs paroles une multitude de calculs et de spéculations. Thabo était un stratège, ambitieux et pragmatique. Awa, elle, semblait plus résignée, presque en retrait, comme si elle se contentait de suivre le mouvement.

  Jennel n’eut pas besoin de consulter Alan pour savoir qu’ils essayaient de mesurer leur adversaire. Elle les fixa encore un instant avant de tourner les talons, son ton redevenu formel :

  ? Suivez-moi. ?

  Thabo et Awa pénétrèrent à leur tour sous l’arche monumentale, franchissant la frontière entre l’extérieur désolé et l’univers intérieur de la Base.

  L’immense place, baigné de lueurs orangées, se déployait devant eux, sobre et élégante, donnant un accès direct aux allées menant aux secteurs d’habitation et aux zones stratégiques.

  Ils gravirent l’escalier menant au premier étage de la tour centrale. Thabo observait les lieux avec un regard analytique, mémorisant chaque détail, chaque agencement. Awa, plus réservée, jetait des coups d’?il furtifs aux gardes d’Imre, silencieux, distants mais attentifs.

  Dans une vaste salle à l’éclairage tamisé, Alan les attendait seul, debout au centre de la pièce. Les parois affichaient un panorama virtuel des montagnes environnantes, donnant l’illusion d’une ouverture sur l’extérieur.

  Lorsqu’ils entrèrent, il posa sur eux un regard calme mais pénétrant.

  Le véritable échange pouvait commencer.

Recommended Popular Novels