L'espace s'ouvrait devant eux, traversé de volutes de gaz et de lumières diffuses. La nébuleuse qui s'étendait à perte de vue ressemblait à une toile chaotique, tissée de filaments iridescents où se mêlaient des teintes de bleu profond, de rose spectral et d'or luminescent. Par endroits, la matière semblait former des draperies tourmentées, des ondulations subtiles comme si un souffle invisible les agitait.

  Des poches de poussière opaque obscurcissaient certaines régions, masquant ce qui pouvait s'y tapir. La lumière des étoiles filtrant à travers ce voile déformait les perspectives, donnant à l'ensemble un aspect mouvant et insaisissable. Ici et là, des éclats de radiation surgissaient, rappelant que cette mer cosmique était bien vivante, chargée d'énergie.

  Les vaisseaux glissaient silencieusement dans cette immensité bruissante de forces invisibles, chaque senseur scrutant les abysses colorés.

  Quelques heures plus t?t, Bulle s'était présenté à Alan pour lui exposer la prochaine mission de son groupe.

  Il lui expliqua que les Arwiens massaient des vaisseaux aux abords d'une nébuleuse afin d'attaquer le flanc du dispositif Gull. Cependant, ils étaient privés de renseignements fiables depuis l'attaque réussie contre le champ d'astéro?des.

  Alan fron?a les sourcils. ? Quelle est leur puissance ? ?

  ? Sans doute deux escadres ?, répondit Bulle.

  Alan fit rapidement le calcul mental. ? Ce qui fait 160 vaisseaux. ?

  ? Vous allez attaquer ces forces avec les Zirkis ?, ajouta Bulle d'un ton neutre.

  Alan refit un calcul rapide. ? Ce qui nous fait 141 vaisseaux. ?

  Jennel, un rien remontée contre cette perspective, lan?a :

  ? Il faut les tuer jusqu’au dernier ? ?

  Bulle resta imperturbable. ? Ce résultat optimal a peu de chances d’être atteint. ?

  Jennel se renfrogna tandis qu'Alan réfléchissait. Brusquement, il se tourna vers Bulle.

  ? Fais figurer un 'S' sur chaque face de mes vaisseaux. ?

  ? Pourquoi ? ?

  Alan esquissa un sourire. ? C’est dans ma stratégie implicite. ?

  Bulle resta muet un instant, puis partit sans rien ajouter.

  Jennel observa son départ avant de murmurer :

  ? Tu l’as peut-être vexé. ?

  Alan haussa les épaules, un éclat amusé dans le regard.

  ? Je crois surtout que je viens de poser un problème intéressant aux machines-à-penser. ?

  L'arrivée aux abords de la nébuleuse était spectaculaire, mais le trajet avait été long. Les deux groupes, terrien et zirkis, s'étaient réunis après de nombreuses sinuosités de trajectoire et des points de transfert éloignés les uns des autres pour éviter la détection.

  Un aspect de la préparation gênait Alan : les comportements indépendants des groupes, qui allaient nécessairement diminuer leur efficacité. Mais comment discuter avec un Zirkis qui ne vous adressait pas la parole ?

  La stratégie des Zirkis était connue : réfléchir un minimum et foncer avec rage sur l'ennemi. Cela avait l'avantage d'être simple et facile à prévoir... surtout pour l'adversaire. Mais les arrêter relevait d’un tout autre défi.

  Les IA, elles, avaient moins de problèmes d’ego. Elles communiquaient en direct et dévoilaient les stratégies des deux groupes sur les hologrammes, superposant les trajectoires et les formations.

  Alan étudiait ces informations avec attention, conscient que la bataille qui approchait serait aussi un test de leur capacité à s'adapter à ces guerriers aussi redoutables que prévisibles.

  La nébuleuse paraissait de forme cylindrique avec une concentration de gaz et de poussières plus faible en son centre. Les palpeurs y détectèrent rapidement la formation arwienne qui commen?ait elle-même à man?uvrer. Les Zirkis s'y précipitèrent à pleine puissance, tandis que les Terriens suivaient avec plus de précaution, leurs boucliers étant déjà fortement sollicités.

  Alan dit à A?ssatou : ? Les boucliers vont perdre beaucoup de leur efficacité. ?

  Ce qu'elle confirma sans para?tre inquiète.

  L'idée jaillit soudainement dans l'esprit d'Alan.

  Il fit appara?tre la carte des nuages de poussières autour du lieu de l'affrontement et décala l'angle d'attaque de son groupe pour ne plus suivre les Zirkis.

  Son escadre accéléra à pleine puissance, simulant une attaque massive sur le flanc adverse. La flotte arwienne se redéploya pour contrer la menace en glissant ses unités le long d'un nuage dense de matière.

  Avant même le premier contact, les vaisseaux terriens tirèrent une salve massive de missiles à fragmentation quantique sur l'arrière du nuage, puis ils virèrent à 90 degrés vers le centre de la nébuleuse cylindrique.

  L’explosion silencieuse des missiles à fragmentation quantique se produisit avec une précision implacable. L’onde gravitationnelle provoquée fit vibrer la nébuleuse, déclenchant un effet de fronde d’une violence inou?e. Les nuages de poussière, d’abord immobiles, furent balayés comme une tempête stellaire en furie.

  Les vaisseaux arwiens, pris au piège, furent soudain engloutis par une marée tourbillonnante de matière cosmique. Les plus petits furent immédiatement projetés contre des blocs rocheux, leurs boucliers surchargés incapables d’absorber l’impact. Les plus grands, eux, luttaient pour stabiliser leur trajectoire, leurs propulseurs luttant contre la marée gravitationnelle qui les attirait inexorablement vers leur perte.

  Les écrans tactiques s’illuminèrent d’alertes rouges : l’ennemi était en train de se disloquer sous la pression du phénomène. Alan et A?ssatou observaient l’hologramme en silence, alors que les vaisseaux arwiens sombraient les uns après les autres dans le chaos qu’ils n’avaient pas vu venir.

  La marée gravitationnelle s’étendait en perdant progressivement de sa puissance, mais elle restait une menace incontr?lable. Les vaisseaux d'Alan s’éloignaient en rasant la périphérie du phénomène, leurs boucliers sollicités au maximum. Pourtant, l’un d’eux fut submergé. Son champ de protection céda brusquement, incapable de compenser les distorsions croissantes.

  Il ne s’écoula qu’une minute avant qu’il ne se désintègre dans un flash lumineux, emporté par la tempête gravitationnelle.

  Jennel, figée, était blême. Ses doigts tremblaient légèrement alors qu’elle fixait l’endroit où le vaisseau avait disparu. à ses c?tés, A?ssatou serrait les poings, la machoire crispée, mais son regard restait résolument braqué sur les écrans tactiques.

  Alan, lui, ne pronon?a pas un mot. Il encaissa la perte sans montrer d’émotion apparente, concentré sur la suite des événements. Il n’y avait pas de place pour la colère ni le deuil, pas maintenant.

  Les Zirkis, eux, avaient parfaitement compris la man?uvre et profitaient du chaos généré par la déflagration gravitationnelle. Ils s’étaient déjà enfoncés profondément dans les lignes adverses, éventrant la formation arwienne avec une brutalité implacable. La bataille faisait rage, mais amis comme ennemis se retrouvaient pris au piège de cette vague de destruction qui se propageait inexorablement à travers la nébuleuse.

  Les Zirkis avaient l’avantage de leur inertie et de leur vitesse, leur course folle leur permettant d’échapper au pire. Mais les Arwiens, eux, devaient d’abord inverser leur trajectoire avant d’accélérer. Chaque seconde passée à man?uvrer leur co?tait cher.

  Beaucoup de leurs vaisseaux furent happés par le tourbillon gravitationnel, broyés par les forces qu’ils ne pouvaient plus contrer. D'autres, endommagés par la tempête, s’éparpillèrent en tentant de se reformer.

  Alan observa l’hologramme tactique avec une froide détermination. C’était terminé.

  Le piège s’était refermé.

  Les Zirkis avaient perdu cinq vaisseaux, mais cela ne ralentissait en rien leur instinct de chasseurs. Implacables, ils traquaient les derniers survivants arwiens, ceux qui n’avaient pas réussi leur transfert quantique et qui tentaient, tant bien que mal, de s’éloigner du champ de bataille en lambeaux. Il n’y aurait pas de pitié, pas d’échappatoire.

  Alan, lui, avait rassemblé sa flotte à l’écart du lieu de l’affrontement, rétablissant l’ordre dans ses rangs. Ils avaient perdu un vaisseau dans la tempête gravitationnelle, mais six autres présentaient des problèmes énergétiques majeurs, les surtensions des boucliers ayant gravement endommagé leurs systèmes de régulation. La réparation complète prendrait du temps.

  Un signal de communication clignota sur l’interface de commandement. Alan activa le canal et la voix gutturale d’Ak-Or, le Commandant des Zirkis, résonna à travers les haut-parleurs.

  ? Commandant Alan. Man?uvre efficace. Combat intéressant. ?

  Des félicitations, à leur manière. Courtes, directes, dénuées d’artifice.

  Alan savait que, pour un Zirkis, cette simple phrase valait un éloge. Il répondit en conséquence, non pas en stratège humain, mais en guerrier.

  ? Ak-Or. Terrain ma?trisé. Combat terminé. La traque est v?tre. ?

  Un bref silence suivit. Puis une réponse, presque satisfaite.

  ? Reconnu. Que la chasse nous honore. ?

  La communication s’acheva.

  Jennel, qui avait suivi l’échange, s’étonna :

  ? Tu parles maintenant comme eux ? ?

  Alan esquissa un sourire en fixant l’écran devant lui.

  ? Parfois, il faut savoir parler le langage de ses alliés. ?

  La bataille était finie. Mais cette guerre forcée, elle, ne faisait que continuer.

  Le retour fut loin d'être gai. L'atmosphère à bord était lourde, presque oppressante. Le silence pesait comme un linceul sur l'équipage. Chacun ressassait en silence la perte qu’ils venaient de subir, confronté brutalement à la fragilité de leur existence dans cet univers impitoyable. Personne n’osait briser cette chape de plomb. Même les bruits habituels des systèmes de bord semblaient étouffés. Certains baissaient la tête en croisant le regard d’un camarade, d’autres fixaient les hologrammes sans vraiment les voir, cherchant à masquer leur trouble derrière une concentration feinte.

  Jennel, habituellement prompte à échanger quelques mots, restait figée, pale, comme si elle tentait de contenir un frisson. A?ssatou, d’ordinaire si s?re d’elle, avait la machoire crispée, les poings serrés sur les accoudoirs de son siège. Même Alan, qui savait se ma?triser, sentait le poids du deuil et du doute s’infiltrer insidieusement dans son esprit.

  à son arrivée, Alan ne laissa pas à Bulle le temps de commenter la bataille. Il leva la main pour couper toute remarque et déclara d’un ton ferme :

  ? Je veux une entrevue immédiate avec les Gulls. ?

  Bulle sembla analyser sa requête un instant avant de répondre simplement :

  ? Accordé. ?

  Alan haussa un sourcil, surpris par l’absence de résistance. Il s’attendait à une objection, à une discussion, mais il n’y en eut pas. D’un geste, Bulle l’invita à le suivre.

  Sans discussion, Bulle l'amena dans une salle holographique où l'image, toujours aussi repoussante, d'un Gull apparut.

  ? Pourquoi entretien ? ? fit le Gull.

  ? Deux défauts graves pour efficacité. ? répondit Alan en s'adaptant au style concis de son interlocuteur.

  ? Défauts ? ?

  ? Absence de coordination, absence de modularité. ?

  ? Précisions ? ? demanda le Gull.

  ? Commandement unique nécessaire pour groupes de combat distincts. Stratégies différenciées possibles pour formations mixtes distinctes. ?

  ? Pourquoi modifier ? ?

  ? Pour ne pas perdre. ? dit Alan sans détour.

  ? Perte inenvisageable. ?

  ? Perte déjà subie une fois. Pouvant être deux fois. ?

  ? Perte inenvisageable. ? répéta mécaniquement le Gull.

  ? Danger si une issue exclue. Faille de raisonnement. ? insista Alan.

  ? Machines-à-penser infaillibles. ?

  Unauthorized reproduction: this story has been taken without approval. Report sightings.

  ? Programmation incomplète. ?

  Un long silence s'installa. L’hologramme du Gull vacilla légèrement, puis s'éteignit brutalement.

  Alan quitta la salle, perplexe. Il avait eu l’impression d’ébranler, ne serait-ce qu’un instant, la rigidité de leur pensée.

  Finalement, il était facile de se procurer une mini-bulle spatiale et de se promener à travers le complexe. à bord, Jennel, A?ssatou, Thabo et Alan avaient pris place. La bulle se pilotait très facilement et se glissait entre les différentes structures avec agilité. Alan était aux commandes et n'avait pas choisi son itinéraire au hasard.

  Le premier lieu imposant qu'il visait était l'arsenal-spatioport réservé aux Gulls.

  La structure apparaissait immense, une sphère gigantesque entourée de plateformes d’amarrage en forme de disques, reliées entre elles par des corridors renforcés. Les parois de la station reflétaient faiblement la lumière des étoiles lointaines, donnant à l’ensemble une allure à la fois majestueuse et mena?ante.

  Des vaisseaux d’une taille impressionnante, con?us pour la guerre, étaient alignés le long des plateformes extérieures. Certains étaient en cours de maintenance, d’autres semblaient prêts à partir à tout instant. De multiples drones et outils automatisés parcouraient les structures, ajustant, réparant, optimisant l’armement de ces colosses de métal.

  La bulle s’approcha lentement, Alan contr?lant la trajectoire avec précision. Chaque détail de l’arsenal révélait une perfection technologique inégalée, une efficacité froide et calculatrice qui ne laissait aucune place au superflu. Jennel observait en silence, son regard oscillant entre fascination et malaise.

  ? Impressionnant, mais inquiétant. ? souffla-t-elle.

  A?ssatou hocha la tête.

  ? Un arsenal qui dépasse tout ce qu’on aurait pu imaginer. Et pas de bouclier. ?

  La mini-bulle poursuivit son cheminement d'une manière apparemment aléatoire jusqu'au deuxième point d'intérêt : l'hyper-émetteur qui pouvait désactiver les nanites et mena?ait tous les mercenaires.

  L'énorme structure dominait le vide spatial, ressemblant à une gigantesque antenne parabolique suspendue dans le néant. Son disque principal, large et finement segmenté, était couvert d'un réseau complexe de capteurs et d'émetteurs répartis sur sa surface. En son centre, une structure plus massive supportait des systèmes de transmission d'une puissance inimaginable, reliés à un immense socle technique où s’entremêlaient d'innombrables cables et modules de stabilisation.

  La mini-bulle s’approcha lentement, glissant dans l’ombre projetée par le disque. De cette distance, on distinguait des éclairs d’énergie crépiter entre certaines sections de la structure, des impulsions d’un bleu profond parcourant la surface métallique, témoins de la puissance contenue dans cet appareil.

  ? Voilà donc le véritable fouet des Gulls. ? murmura Jennel.

  A?ssatou croisa les bras. ? Une technologie de contr?le absolu… C’est pire que je l’imaginais. ?

  Thabo, les yeux plissés, ajouta : ? Et elle est protégée par un bouclier de défense d’une puissance phénoménale. Je doute que quoi que ce soit puisse l’endommager. ?

  Alan resserra sa prise sur les commandes, observant en silence. Il savait qu’ici se trouvait le c?ur du pouvoir des Gulls sur eux. Il savait aussi qu’un jour, cette structure devrait cesser d’exister.

  JENNEL

  Je ne suis pas s?re que ce carnet soit discret, alors je vais cesser d’écrire jusqu’à … la fin de quelque chose ou la fin tout court.

  Je vais bient?t partir tuer ceux qui sont en fait mes frères et mes s?urs. Et voir mes amis mourir. Que puis-je écrire ?

  Alan poursuit un but que je devine facilement, mais il semble suivre un chemin obscur.

  A n’importe quel prix. Cela m’effraie.

  Certains moments il est l’homme que j’aime. A d’autres, il a ce regard implacable qui … tue.

  Bulle fit irruption en pleine période dite nocturne, réveillant Jennel et Alan en toute hate, ses excuses débitées à une vitesse inhabituelle. Son agitation trahissait l'ampleur de la situation.

  "Il y a urgence !" déclara-t-il d’une voix presque fébrile.

  Le groupe de combat Xi subissait une attaque frontale massive de la part d'une force de pénétration arwienne, supérieure en nombre et en puissance. Les Xi résistaient avec acharnement, mais malgré l'envoi de plusieurs dizaines de vaisseaux en renfort, leur ligne de défense s'effritait rapidement.

  "Ils ne tiendront plus longtemps avant l’effondrement total," insista Bulle.

  Alan et Jennel échangèrent un regard rapide avant de se précipiter hors de leur couchette, enfilant leurs uniformes en un temps record.

  "Détails de la bataille, maintenant !" ordonna Alan en boutonnant son col. Bulle transmit instantanément les dernières informations tactiques, projetant un hologramme en temps réel dans la pièce.

  En s'habillant à la hate, Alan demandait des renseignements complémentaires :

  ? état des forces, puissance adverse ? ?

  Bulle répondit immédiatement :

  ? 170 vaisseaux arwiens environ restants. Vaisseaux mercenaires restants à la dernière mise à jour : 61 Xi (11 perdus), 37 autres (24 perdus). ?

  Moins de 30 minutes plus tard, 56 vaisseaux terriens en état de combattre effectuèrent le transfert hyper-quantique. La durée fut relativement courte comparée aux précédentes missions, signe que la force arwienne avait lancé une attaque en profondeur.

  Alan examinait la zone de combat en espace profond. Pas de planète, rien. Une bataille rangée. Impossible de définir une stratégie avant d'être sur les lieux.

  Quand les navires terriens regagnèrent l'espace normal, le lieu du combat se révéla dans toute sa brutalité. Une myriade de flashs d'explosions déchiraient le vide, illuminant fugitivement des carcasses de vaisseaux éventrés dérivant sans contr?le. Des traits de lumière fusaient dans toutes les directions, des décharges énergétiques transper?ant le néant en arcs br?lants, tandis que des torpilles explosaient en silence dans de vifs éclats bleutés et rougeoyants.

  Les vaisseaux mercenaires formaient une défense sphérique, un dernier rempart face à la tempête de destruction qui s’abattait sur eux. Les Xi, bien que subissant de lourdes pertes, man?uvraient avec agilité, leurs navires effectuant des esquives précises tout en ripostant à pleine puissance. Les renforts, déployés en hate, tentaient d’établir une ligne de résistance plus cohérente.

  Alan prit une grande inspiration et s’adressa à l’IA, activant une communication inter-nanites à destination de tous les vaisseaux mercenaires, rompant ainsi les modalités classiques d'engagement par groupe voulues par les Gulls.

  ? Ici Alan, commandant du groupe terrien. Nous allons coordonner l’attaque. Arrêtez la dispersion. ?

  Le canal s'ouvrit aux forces Xi et aux autres mercenaires. Sur l’hologramme tactique, Alan observait leurs positions. Les Xi suivaient une rotation circulaire autour de la sphère tenue par les renforts, balayant leurs tirs dans un mouvement perpétuel. Un bon moyen de survivre, mais insuffisant pour gagner.

  ? Commandant Xi, cessez la rotation. Concentrez l'attaque sur l'aile droite. ?

  La voix du commandant Xi Mano, calme mais tendue, se fit entendre dans le canal :

  ? Cesser la rotation ? Nous sommes trop exposés. ?

  ? Pas si nous fixons la menace sur un seul front. Faites-le immédiatement. Je prends la responsabilité. ?

  Un silence tendu, puis sur l’hologramme, Alan vit les Xi ralentir leur mouvement, ajustant leur formation.

  ? Groupes de renfort, attaquez l’aile gauche. Flanquez-les, isolez leurs unités. ?

  Les confirmations affluèrent. Alan se tourna vers Jennel et A?ssatou. Puis lan?a à l’IA :

  ? Attaque en fer de lance au-dessus. Barrage de torpilles en dessous. ?

  L'IA et les opérateurs tactiques traduisirent rapidement les ordres en trajectoires, et le déploiement s’effectua en quelques secondes. L’escadre terrienne fondit sur l’ennemi dans une charge brutale, les vaisseaux accélérant à pleine puissance vers leur cible.

  Les Xi, suivant les directives, concentrèrent leur feu, perforant les lignes ennemies avec une précision mortelle. Les Arwiens, déstabilisés par l’arrêt de la rotation et l’attaque simultanée sur leurs ailes, commencèrent à se réorganiser, mais il était déjà trop tard.

  Le fer de lance des Terriens s’enfon?a profondément dans les lignes ennemies, brisant la formation adverse. La bataille prenait un nouveau tournant.

  La formation des vaisseaux terriens exploitait sa profondeur, concentrant le plus grand nombre d’unités à l’arrière, créant ainsi une ligne de feu capable de frapper avec précision tout en limitant l’exposition directe au combat rapproché.

  Alan observa l'hologramme tactique et ordonna d'une voix ferme :

  ? Deux salves de missiles à fragmentation sur les formations nord et sud adverses. ?

  Les lanceurs s’activèrent instantanément, projetant une pluie de projectiles destructeurs vers les lignes ennemies. Malgré les contre-mesures adverses, plusieurs vaisseaux arwiens furent touchés. Des explosions silencieuses illuminèrent l’espace, certains vaisseaux se brisant en multiples fragments tandis que d’autres, gravement endommagés, perdaient en man?uvrabilité.

  Du c?té des Xi, la situation évoluait rapidement. Les Arwiens, sous pression, commencèrent à battre en retraite, cherchant à se replier via le transfert hyper-quantique. L’hologramme tactique montrait les signatures énergétiques de leurs vaisseaux s’intensifiant avant leur disparition soudaine dans le néant de l’hyperespace.

  Puis, le mouvement s’étendit à toute la flotte ennemie. En l’espace de quelques instants, l’espace s’apaisa, ne laissant derrière lui que des débris flottants et quelques éclats de lumière mourante.

  Alan balaya la salle du regard et croisa celui d’A?ssatou. Elle leva trois doigts.

  Trois vaisseaux terriens détruits.

  Il accusa silencieusement la perte, son regard glissant sur l’hologramme où les positions de ces vaisseaux figuraient encore comme une trace persistante.

  Puis il regarda Jennel. Elle semblait figée, le regard perdu dans le vide, comme absorbée par une réflexion intérieure insondable.

  Un léger froncement de sourcils trahit son inquiétude. Il l’appela doucement :

  ? Jennel ? ?

  Elle cligna des yeux, comme si elle sortait d’un état second, et murmura d’une voix troublée :

  ? C’était le premier rêve. ?

  Alan mesura l’impact de la phrase et ce qu’elle sous-entendait.

  Il hocha la tête puis détourna son regard de Jennel et le posa de nouveau sur l’hologramme tactique qui affichait encore les trajectoires des unités alliées et adverses. Il zooma sur les positions des trois vaisseaux perdus. Ils avaient tenu leur place jusqu’au bout, subissant de plein fouet le feu ennemi avant de succomber.

  Un silence lourd pesait sur la passerelle. Tous avaient vu ces vaisseaux exploser, tous savaient ce que cela signifiait.

  A?ssatou, toujours crispée, reprit la parole, la voix grave :

  ??Ils se sont battus jusqu’au bout. On aurait pu en perdre bien plus.??

  Alan hocha la tête, mais son regard restait sombre.

  ??Et on en perdra encore.??

  A?ssatou releva la tête.

  ??C’était un test.??

  Alan tourna brusquement la tête vers elle.

  ??Un test ???

  A?ssatou hocha la tête, sa machoire serrée.

  ??Les Gulls voulaient voir ce que nous valions réellement. Jusqu’ici, on frappait sur des cibles secondaires, des éclaireurs, on pouvait utiliser les subtilités du milieu. Là, c’était une force en ligne, une bataille ouverte. Et on a gagné.??

  ??Mais à quel prix ??? murmura Jennel.

  L'attention d'Alan fut attirée par une série de points lumineux surgissant sur l’hologramme tactique. Il observa un instant, puis s’adressa à A?ssatou :

  ? Tu vois ?a ? ?

  A?ssatou entra quelques commandes sur sa console, analysant rapidement les données.

  ? Ce sont nos alliés. Ils achèvent les vaisseaux arwiens endommagés qui n'ont pas pu fuir. ?

  Alan serra la machoire. Il savait que c’était une pratique courante chez les mercenaires, mais cela ne lui convenait pas. Il ouvrit aussit?t une communication générale :

  ? Ici Alan de Sol. Interdiction, je répète, interdiction de se livrer à l'achèvement des vaisseaux arwiens. Retour immédiat à la Base pour réparations éventuelles et réapprovisionnement en armement. ?

  Le silence s’installa un instant sur le canal. C’était un ordre qu’il n’était pas censé donner. Officiellement, il ne disposait d’aucune supériorité hiérarchique sur les autres groupes de mercenaires. Pourtant, lentement mais s?rement, les unités alliées commencèrent à cesser le massacre et à se regrouper en formation pour le transfert.

  ? Sol ? ? dit Jennel avec un léger sourire.

  ? C’est ce qu’on dit dans les romans de science-fiction, non ? ? répondit Alan.

  ? Quelle culture ! ?

  L’IA les interrompit :

  ? Communication holographique entrante de la Commandante Xi Mano pour le Commandant Alan. ?

  Il s’y attendait. L’image holographique de Xi Mano apparut, toujours aussi élégante et ma?trisée. D’une voix calme et posée, elle déclara :

  ? Commandant Alan de Sol, votre intervention a été rapide et efficace. Votre stratégie a permis de renverser une situation difficile et d’assurer la victoire de nos forces. Toutefois, je ne peux que noter que vous avez outrepassé deux modalités d’engagement imposées par nos… h?tes communs. ?

  Elle laissa planer un instant de silence, puis poursuivit avec la finesse diplomatique propre aux Xi :

  ? Le premier point concerne la coordination d’unités extérieures à votre commandement direct. Le second, l’interdiction de laisser des adversaires en état de retrait. Ces règles ont été établies avec une intention claire, et pourtant, vous avez choisi une autre voie. Dois-je en déduire une interprétation nouvelle de notre cadre opérationnel ? ?

  Alan esquissa un léger sourire. Xi Mano testait ses intentions. Il choisit de répondre sur le même ton mesuré :

  ? Disons que les modalités imposées par les Gulls commencent à manquer de souplesse. Il est parfois nécessaire de leur apporter un peu de fra?cheur. ?

  Un éclat d’amusement traversa fugacement le regard de Xi Mano avant qu’elle ne s’incline légèrement.

  ? C’est un point de vue intéressant. Je le noterai. ?

  La communication se coupa. Alan s’appuya contre le bord de son poste de commandement et donna son prochain ordre :

  ? Formation défensive, on traverse le champ de bataille. ?

  A?ssatou haussa un sourcil.

  ? Pourquoi pas un transfert direct ? ?

  Alan tourna la tête vers elle, un éclat déterminé dans le regard.

  ? Regarde bien nos vaisseaux, A?ssatou. Chaque unité a deux S gravés sur son blindage. ?

  Elle observa un instant l’écran de surveillance externe, où l’emblème inscrit sur chaque coque était bien visible.

  ? Les Arwiens doivent voir ?a. Ils doivent comprendre qu’un groupe se singularise par son attitude. ?

  A?ssatou hocha lentement la tête, comprenant l’intention derrière cette man?uvre. Alan voulait envoyer un message, pas seulement aux Arwiens, mais aussi aux autres forces en présence.

  La formation terrienne s’élan?a alors lentement à travers le champ de bataille silencieux. Des épaves disloquées dérivaient dans l’immensité sombre, leurs coques noircies par les combats, certaines encore parcourues de faibles éclats d’énergie résiduelle. Des champs de débris métalliques scintillaient à la lumière des étoiles, vestiges d’une bataille qui avait changé bien plus que les positions sur un écran tactique.

  Le silence régnait dans la passerelle, ponctué seulement par les transmissions techniques et les échanges brefs entre les membres d’équipage. Tous savaient que cette traversée n’était pas anodine. Chaque vaisseau qui flottait ici racontait l’histoire de ceux qui ne reviendraient pas.

  Dans les ombres mouvantes de l’espace, plusieurs capsules de survie arwiennes clignotaient faiblement, certaines en rotation lente, d’autres immobiles, leur coque gelée par le vide. A?ssatou les signala sur l’hologramme tactique.

  ? Beaucoup sont encore en vie. ?

  Alan se contenta de hocher la tête.

  ? Nous ne sommes pas là pour les achever. Mais nous ne sommes pas là pour les sauver non plus. ?

  Les vaisseaux poursuivirent leur lente avancée. Dans l’obscurité, au-delà des cendres de la bataille, quelque chose avait changé.

  Ce n’était plus une simple guerre entre mercenaires et adversaires. C’était une lutte pour une autre manière de combattre.

  Une autre manière de survivre.

  Et tout le monde regardait.