Alan pria Awa et Thabo de prendre place autour d’une table, prenant lui-même place aux c?tés de Jennel. Le silence initial fut brisé par un souhait de bienvenue d'Alan, qui les invita à un échange ouvert et constructif.
Thabo eut un léger sourire en coin et lacha d’une voix sèche :
? J’imagine que notre accueil aurait pu être plus chaleureux. Mais nous ferons avec. ?
Alan ne releva pas la pique, se contentant d’un regard mesuré.
Awa, plus posée, observa Jennel avec attention avant de demander :
? Es-tu une Voyante ? ?
Jennel inclina légèrement la tête.
? Oui. ? répondit-elle simplement, sans détour.
Thabo croisa les bras, puis prit un ton plus grave :
? Nous sommes ici en paix et nous nous remettons entre vos mains, Alan. Nous n'avons pas d’autre intention que de mieux comprendre ce qui se passe. Peut-être pouvons-nous échanger des renseignements utiles à tous. ?
Alan hocha la tête.
? C’est ce que j’espère aussi. ?
Awa prit le relais :
? En réactivant la Base de l’Alta?, vous avez relancé la Sélection. Elle était considérée comme caduque. ?
Alan haussa les sourcils, réellement surpris.
? Comment ?a, caduque ? ?
Il posa son regard sur Awa, cherchant à déceler l’implication de cette affirmation. Awa échangea un regard avec Thabo avant de répondre.
Awa prit une inspiration et croisa ses mains devant elle avant de commencer son récit.
? Bien avant votre arrivée, les Bases n’étaient pas en compétition. La Sélection existait, bien s?r, mais elle restait une idée lointaine, un concept plus qu’une réalité. J’ai été la première à activer une Base, celle de Comoé, en C?te d’Ivoire. Peu après, une femme mongole du nom d'Enkhjargal activa la Base de l’Alta?. Nous avons rapidement établi un contact et développé de bonnes relations. ?
Alan écoutait attentivement, gravant chaque détail dans sa mémoire.
? à cette époque ?, continua Awa, ? les échanges étaient cordiaux. Nous partagions des informations, des ressources. Il n’y avait ni hostilité ni suspicion. Puis vint la troisième activation : la Base du Canada, celle de Banff. Là aussi, les relations furent d’abord positives. Mais … ?
Elle jeta un bref regard à Thabo, qui restait impassible, et poursuivit :
? Thabo est arrivé, et nous étions quatre. Pour la première fois, la notion de Sélection a véritablement pris forme dans nos esprits. Jusqu’alors, la collaboration primait, et nous avions même désactivé nos champs de répulsion pour favoriser les échanges. ?
Alan nota mentalement cette information. Désactiver les champs de répulsion avait pu sembler une bonne idée… mais c’était sans compter l’inévitable nature humaine.
? Moi, j’ai conservé le mien, ? précisa Thabo d’une voix posée. ? Je me méfiais. ?
Awa hocha la tête.
? Et tu avais raison. Car Brian, l’élu de Banff, a brisé cet équilibre. Il a militarisé sa population, profitant des stocks d’armement abandonnés de l’armée américaine. Et puis, il a lancé l’attaque. Il a envoyé ses troupes sur la Base de l’Alta?. Ce fut un carnage. ?
Jennel pin?a les lèvres, sentant l’émotion qui commen?ait à filtrer dans la voix d’Awa.
? Enkhjargal est morte, ? continua Awa après un court silence. ? La Base a subi d’importants dégats, notamment au niveau de l’IA. Mais surtout, l’anneau est devenu inaccessible. Nous étions à quatre… et nous sommes retombés à trois. La Sélection nécessitant sept anneaux, elle devenait caduque. Alors nous avons renoncé. Plus d’alliance, plus de projet. Chacun a essayé de survivre dans son coin. ?
Elle se redressa et planta son regard dans celui d’Alan.
? Jusqu’à votre venue. Vous avez réveillé l’Altai, Alan. Et avec elle, la Sélection. ?
Alan prit une profonde inspiration. Son esprit était en ébullition. Il comprenait désormais que sa simple présence avait modifié l’équilibre en place. Mais était-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
Awa jeta un regard entendu à Thabo avant de conclure :
? L’alliance entre Thabo et moi a été conclue dans un contexte où la Sélection était hors de question. L’identité des élus n’avait plus d’importance. Nous nous sommes simplement soutenus pour survivre, pas pour jouer ce jeu imposé par les Gulls. Mais aujourd’hui, même si la Sélection rena?t, cette alliance demeure. ?
Thabo hocha la tête en signe d’approbation.
? Et je suis prêt à lui rendre l’anneau si elle le souhaite, ? déclara-t-il avec calme.
Jennel arqua un sourcil, intriguée par ce soudain revirement. Awa ne broncha pas, son regard restant fixé sur Alan.
? Mais avant d’en arriver là, ? reprit Thabo en s’adressant directement à lui, ? il y a quelque chose que nous aimerions comprendre. Comment connais-tu les emplacements des autres Bases ? ?
Awa ajouta aussit?t :
? Et comment as-tu réactivé une Base qui était détruite ? ?
Alan s’y attendait. Il prit un instant pour formuler sa réponse, pesant soigneusement ses mots.
? Je vais être honnête avec vous, ? répondit-il d’une voix posée. ? Les emplacements des Bases m’ont été fournis par une source que je ne peux pas identifier avec certitude. Tout ce que je sais, c’est qu’au moment où j’étais au plus bas, dans un désert, on m’a donné ces informations, ainsi que la possibilité de me rendre ici. ?
Thabo ne cacha pas son scepticisme.
? Tu ne sais pas par qui ? ?
? Non, ? admit Alan sans détour.
Un silence s’installa. Awa, toujours impassible, analysait chaque mot.
? Et pour la Base de l’Altai ? ? relan?a-t-elle.
Alan croisa les bras et appuya ses coudes sur la table.
? Je ne l’ai pas réactivée. Le d?me a été réinitialisé, mais pas la Base elle-même. Il y a une distinction importante. J’ai simplement forcé son IA à se connecter à celle du vaisseau en orbite. C’est par ce biais que j’ai pu prendre le contr?le. ?
Awa et Thabo échangèrent un regard bref, un mélange d’inquiétude et de réflexion passant entre eux.
? Le vaisseau... ? murmura Awa.
Thabo grima?a légèrement.
? Ce qui veut dire que, potentiellement, n’importe quelle IA peut être influencée par ce vaisseau. ?
Alan inclina légèrement la tête.
? Exactement. Et c’est ce qui devrait vous inquiéter le plus. ?
Le silence retomba, plus pesant que jamais.
Alan croisa les bras, scrutant tour à tour Awa et Thabo.
? Ce lien avec le vaisseau pourrait être une menace, mais il pourrait aussi être une opportunité. ?
Thabo haussa un sourcil, méfiant.
? Une opportunité ? De quoi parles-tu ? ?
Jennel intervint sans hésitation :
? Par exemple, pour empêcher la diminution du champ anti-nanites. ?
Awa acquies?a lentement, l'idée faisant son chemin dans son esprit.
? Ou pour se passer des sept anneaux. ? ajouta Jennel.
Alan soupira.
? Reste à savoir comment. ?
Thabo croisa les bras, son regard se durcissant.
? Et si ce n’est pas possible ? Si nous sommes coincés avec ces règles, et qu’il n’existe aucune échappatoire ? ?
Un silence tomba autour de la table. Chacun cherchait une réponse, mais aucun ne trouvait de solution immédiate.
C’est alors que Jennel, prenant un air faussement candide, se redressa légèrement.
? Quand j’étais enfant, j’avais un livre de contes. ?
Alan tourna lentement la tête vers elle, intrigué.
? Un livre de contes ? ?
Jennel hocha la tête.
? Oui, un cadeau d’anniversaire. Il y avait une histoire d’Afrique de l’Est que j’aimais particulièrement, qui s’intitulait La Hyène et le Miel… ?
Tous la fixèrent, médusés.
Jennel esquissa un sourire et entreprit de raconter le conte.
JENNEL
Il était une fois, dans une savane desséchée, une hyène affamée qui errait à la recherche de nourriture. Un jour, elle sentit une odeur exquise portée par le vent : celle du miel sucré et doré. Intriguée, elle suivit la fragrance jusqu’à un grand arbre où des abeilles bourdonnaient autour d’une ruche suspendue à une haute branche.
La hyène n’était pas très futée, mais elle était obstinée. Elle s’assit sous l’arbre et se mit à réfléchir à voix haute :
? Ce miel est si haut, et je n’ai pas d’ailes pour voler. Mais si j’attends qu’il tombe, il sera à moi. ?
Elle s’installa alors sous l’arbre, attendant que le miel tombe de lui-même.
Le temps passa. Le soleil br?lait la savane, la nuit tombait froide, mais la hyène ne bougeait pas. Des jours s’écoulèrent, et la faim la rongeait, mais elle refusait d’abandonner.
Un matin, un singe passa par là et s’arrêta en la voyant.
? Que fais-tu ici, hyène ? ? demanda-t-il.
? J’attends que le miel tombe, ? répondit la hyène d’un ton fier.
Le singe éclata de rire.
? Stupide créature ! Le miel ne tombera pas de lui-même. Il faut aller le chercher ! ?
Mais la hyène refusa d’écouter.
? Non, je suis patiente. J’attends mon moment. ?
Les jours passèrent encore. Les abeilles, curieuses de cette présence, finirent par s’agacer et attaquèrent la hyène. Piquée de toutes parts, elle hurla et s’enfuit en courant, plus affamée que jamais.
Jennel termina son récit sous les regards silencieux de Thabo et Awa.
Alan, un sourire en coin, la regarda avec admiration.
? Et donc, si je comprends bien… ? commen?a-t-il.
? Si nous nous contentons d’attendre une solution miracle, nous finirons comme la hyène, ? répondit Jennel en haussant les épaules.
Thabo, impressionné malgré lui, laissa échapper un léger rire.
? Je dois avouer… que je ne m’attendais pas à une telle le?on. ?
Awa hocha la tête, réfléchissant aux implications.
? Alors, nous devons aller chercher notre propre miel. Mais comment ? ?
Alan, inspiré par le conte, se leva et posa les mains sur la table.
? C’est exactement ce que nous allons découvrir. ?
Jennel, toujours aussi enjouée, tapota la table du bout des doigts, un sourire amusé aux lèvres.
? Mais attendez, il existe aussi une variante de cette histoire. ?
Thabo leva un sourcil, intrigué.
? Une variante ? ?
? Oui, dans cette version, le singe, qui se moque de la hyène et veut prouver sa supériorité, grimpe dans l’arbre pour aller chercher le miel lui-même. ?
Alan croisa les bras, attendant la suite.
? Mais, ? poursuivit Jennel, ? il ne réalise pas que les abeilles sont bien plus dangereuses qu’il ne l’avait imaginé. à peine atteint-il la ruche qu’elles l’attaquent furieusement. Paniqué, il fait tomber la ruche et se retrouve piqué à mort. ?
Awa fron?a les sourcils, suivant le récit avec attention.
? Et la hyène ? ? demanda-t-elle.
Jennel sourit malicieusement.
? Eh bien… Le miel coule tout droit dans sa bouche grande ouverte. Elle n’a rien fait, rien risqué, et elle est la seule à en profiter. ?
Un silence tomba sur la pièce.
? Alors, ? lan?a Jennel en les regardant tour à tour, ? qu’en pensez-vous ? Quelle est la morale de cette version ? ?
Ils échangèrent des regards pensifs.
Thabo réfléchit à voix haute :
? Celui qui veut tout prendre pour lui peut être victime de sa propre arrogance. ?
If you discover this tale on Amazon, be aware that it has been unlawfully taken from Royal Road. Please report it.
? Peut-être, ? admit Jennel.
Awa se redressa et ajouta :
? Mais cela voudrait dire que parfois, ne rien faire peut être une stratégie efficace ? ?
Alan, qui observait la discussion avec intérêt, se permit un léger sourire.
? Ou bien que le plus malin n’est pas toujours celui qu’on croit. ?
Jennel tapota la table du bout des doigts.
? Vous voyez ? Les mêmes éléments, mais des conclusions différentes. ?
Elle se leva, les bras croisés, les yeux pétillants.
? Alors… Laquelle de ces histoires se rapproche le plus de notre situation actuelle ? ?
Alan, Thabo et Awa échangèrent un regard, chacun en quête de la meilleure réponse.
Jennel s’adossa légèrement à sa chaise, un sourire énigmatique aux lèvres.
? De mon point de vue, ? commen?a-t-elle, ? cette histoire nous offre en réalité quatre morales différentes. ?
Awa et Thabo échangèrent un regard intrigué.
? Et parmi elles, deux sont contradictoires, ? poursuivit Jennel, ? ce qui signifie qu’il faut écarter ces deux. Mais il en reste deux qui peuvent réellement nous inspirer. ?
Alan croisa les bras, intéressé par la tournure que prenait la conversation.
? Première le?on, ? Jennel leva un doigt, ? le plus malin n’est pas celui qu’on croit. Autrement dit, pour l’emporter, il faut parfois savoir feindre l’ignorance, ou mieux encore, commettre des erreurs volontaires. ?
Thabo haussa un sourcil, clairement intrigué par cette approche.
? Deuxième le?on, ? poursuivit Jennel, levant un deuxième doigt, ? celui qui veut tout prendre pour lui finit toujours par se détruire. Cela signifie qu’il faut partager les anneaux. ?
Un silence s’abattit sur la pièce.
Awa et Thabo fixaient Jennel, stupéfaits. Alan, quant à lui, éclata de rire, brisant la tension.
? Jennel… Tu es incroyable. ?
Awa la regarda, admirative.
? Quel est exactement votre r?le dans cette Base ? ? demanda-t-elle, sincèrement impressionnée.
Alan se pencha légèrement en avant, posant une main sur celle de Jennel.
? C’est mon épouse, ? déclara-t-il avec une fierté évidente, ? et elle est redoutable ! ?
Jennel sourit, étrangement s?re d’elle. Pour la première fois depuis longtemps, elle sentait que son intuition l’avait menée exactement là où elle devait être.
Alan se redressa légèrement et posa les mains sur la table, balayant du regard ses interlocuteurs.
? Pour mettre les idées de Jennel en action, il nous faut d’abord faire un état des lieux précis. Nous devons lister nos forces et nos moyens, y compris les plus subtils. Et surtout, il nous faut comprendre les méthodes et les motivations de… ? Il marqua une pause, un sourire ironique aux lèvres. ? … notre adversaire. ?
Awa hocha lentement la tête, tandis que Thabo se renfon?ait dans son siège, songeur.
? Quant à partager les anneaux, ? poursuivit Alan d’un ton délibérément détaché, ? je n’ai personnellement aucun problème à ce que tu prennes celui de Banff, Thabo. Après tout, nous allons probablement devoir nous les répartir… on pourra toujours tirer à la courte paille. ?
Il accompagna ses paroles d’un sourire malicieux.
Thabo cligna des yeux, pris de court. Il ouvrit la bouche, la referma, puis éclata d’un rire bref et incrédule.
? Tu plaisantes, j’imagine ? ?
? à moitié seulement. ?
Un silence flottant s’installa. Alan le laissa s’étirer, jaugeant la réaction de ses vis-à-vis. Thabo secoua la tête, stupéfait, mais finit par se détendre.
? Beaucoup de réflexion à mener… et dans la plus grande discrétion, ? déclara-t-il finalement d’un ton grave.
? C’est une évidence, ? acquies?a Awa.
Alan échangea un regard complice avec Jennel, qui se contenta de sourire légèrement, satisfaite d’avoir semé une graine dans leurs esprits.
Quelques heures passèrent. La nuit était déjà bien avancée lorsqu’Alan et Jennel, accompagnés d’Imre et de quelques hommes, raccompagnèrent les deux élus jusqu’à leur navette. La pluie fine qui s’était installée plus t?t continuait de tomber en nappes légères, rendant l’atmosphère encore plus feutrée et pesante. Thabo et Awa montèrent à bord après un dernier échange de regards entendus avec Alan et Jennel. Sans un bruit, la navette s’éleva lentement avant de dispara?tre dans l’obscurité.
Alan et Jennel restèrent immobiles un instant. Puis, en silence, ils regagnèrent la salle de réunion désormais vide. Alan referma doucement la porte derrière eux avant de se tourner vers Jennel, son regard rempli d’admiration.
? Tu as été exceptionnelle, ? murmura-t-il avec une sincérité qui la fit frissonner.
Jennel esquissa un sourire, un peu gênée par l’intensité de son regard.
? C’est grace à toi. ? Elle marqua une pause, cherchant ses mots. ? Tu me donnes la force d’oser, d’aller au bout de mes idées. ?
Alan secoua la tête, amusé et touché à la fois.
? Non, Jennel… Tu as toujours eu cette force. Je n’ai fait que lui donner un cadre où s’exprimer. ?
Ils savaient tous deux que leur plan esquissé restait encore incertain, audacieux, et qu’il leur faudrait encore affiner chaque étape. Ils savaient aussi que leurs alliés, bien que fiables selon leurs intentions visibles, devaient être testés dans l’action. Mais surtout, la réussite du plan dépendait d’un facteur clé : ce qu’Alan pourrait accomplir avec les IA.
Sans un mot de plus, ils se prirent la main. Alan pressa doucement les doigts de Jennel dans les siens, lui offrant cette certitude muette qu’ils avanceraient ensemble, quoi qu’il advienne. Puis ils quittèrent la salle, leurs ombres se fondant dans la lueur tamisée des couloirs silencieux de la Base.
JENNEL
Je crois que j’ai été plut?t bonne. Le regard d’Alan débordait de fierté, j’en suis encore toute remuée.
Je ne suis pas absolument s?r que ce conte venait d’un cadeau d’anniversaire mais plut?t d’un souvenir d’école. Et je crois bien que je l’ai un peu personnalisé.
Je me suis beaucoup amusée dans cette réunion, c’était pourtant très sérieux mais j’aime prendre le contrepied.
Jennel s’était levée t?t, bien avant l’aube. La nuit s’attardait encore sur la Base, et les journées raccourcissaient peu à peu. Elle devait organiser plusieurs groupes d’activités : sports, arts, lecture… Pour cela, deux navettes, accompagnées de gardes, iraient récupérer divers matériels et accessoires dans la ville voisine, notamment des livres. Pas question qu’elle n’y soit pas. Alan avait protesté, mais elle avait balayé ses arguments d’un sourire ferme avant de dispara?tre dans l’ombre du couloir.
Laissant Alan seul dans leurs appartements.
Ce fut dans ce calme relatif qu’Ingrid se présenta. Elle entra sans trop d’assurance, souriante mais visiblement hésitante.
? Tu veux un chocolat chaud ? ? proposa Alan en se levant.
Elle secoua doucement la tête.
? Non, merci. ? Un silence gêné s'installa. ? Je voulais… m’excuser pour l’histoire du baptême en navette. ?
Alan éclata de rire, un rire sincère qui fit légèrement rougir Ingrid.
? C’était bien essayé ! ?
Elle releva les yeux, un peu plus détendue.
? Jennel a fait son rapport sur toi, ? encha?na Alan en reprenant son sérieux. ? Je voulais te remercier d’avoir évoqué ton don. C’est un sujet important. ?
Ingrid haussa les épaules.
? Je ne suis pas du tout s?re d’aimer l’attention que ?a m’apporte. ?
? J’ai besoin de ton aide. Il faudrait aussi recenser les autres dons de la cité. ?
Elle fron?a les sourcils, hésitante.
? Je ne cherche pas les responsabilités. ?
? Tout comme moi, mais ?a m’est tombé dessus ! ? répondit Alan avec un sourire en coin.
Ils échangèrent un regard complice. Ingrid inspira profondément, comme pour peser sa réponse, puis le regarda droit dans les yeux.
? Vous n’avez personne d’autre, Commandant ? ?
Alan arqua un sourcil.
? Recommence avec : Tu n’as personne d’autre, Alan ? ?
Elle se mordit la lèvre, un instant indécise, avant de reformuler :
? Tu n’as personne d’autre, Alan ? ?
Il laissa un bref silence s’installer, puis répondit calmement:
? Non, Ingrid. ?
Elle le jaugea une dernière fois, comme pour s’assurer qu’elle ne faisait pas une erreur, puis hocha la tête.
? D’accord. J’accepte. ?
Premières neiges sur la Base. Peu de flocons parviennent à franchir le champ de répulsion, et le vent glacial, lui aussi, s'atténue à mesure qu'il tente de pénétrer cette barrière invisible. Le champ régule les phénomènes climatiques, préservant ainsi un équilibre artificiel qui contraste avec la rudesse du monde extérieur.
Alan marche sur un sentier incertain, son regard fixé sur l'horizon. Autour de lui, la végétation d'origine survit, protégée par le champ anti-nanites. Mais il n’est pas venu observer les paysages figés par l’hiver naissant. Il est préoccupé. Une action déterminante l’attend, une tentative audacieuse, simple en apparence mais hautement incertaine.
Un échec compliquerait considérablement son alliance avec les Bases d’Awa et de Thabo. Un succès, en revanche, ouvrirait peut-être des solutions nouvelles, encore insoup?onnées. Il a peu d’éléments en main, mais il a une conviction : il doit essayer.
Il porte son communicateur temporal attaché à son poignet, bien conscient que la première étape ne suffira pas. Il devra aller plus loin, forcer les verrous invisibles qui entravent l'accès aux vérités qu'il recherche.
Il s'est décidé très vite. La veille, il a expliqué à Jennel son besoin de solitude pour se préparer. Elle n’a pas cherché à le dissuader, elle a simplement plongé son regard dans le sien. Son seul encouragement. Et c’était suffisant.
Il pose son communicateur sur sa tempe.
"Léa ?"
"Oui, Alan ?"
Il inspire profondément avant d’annoncer : "Je vais poser des questions dont tu n’auras pas toujours les réponses. Tu devras les relayer au vaisseau."
"Certaines questions pourraient être bloquées par les protocoles de sécurité."
"Alors fais-en des questions prioritaires pour la Sélection."
Alan demande qui peut accéder au vaisseau. Léa répond sans hésitation : "L’élu victorieux de la Sélection."
"Et un élu en cours de Sélection qui apporterait une amélioration de celle-ci ?"
Silence. Léa ne peut répondre.
"Transmission de la question à l’IA du vaisseau."
Quelques secondes passent avant la réponse : "Interprétation indéfinie."
Alan pousse son avantage : "Le but ultime de la Sélection est prioritaire sur ses modalités."
"Assertion non motivée."
Il poursuit, implacable : "La victoire d’une Base fournit un équipage homogène mais non optimum, alors qu’un élu peut construire à l’aide de plusieurs Bases un équipage hétérogène plus cohérent, remplissant plus efficacement la mission."
Silence.
"Et cet élu n’a pas eu besoin de sacrifier des ressources irrempla?ables pour remporter une victoire de moins bonne qualité pour la Sélection."
Nouveau silence. Alan sent qu’il est sur la bonne voie.
"Et cet élu s’est montré plus imaginatif que les autres, ici et ailleurs."
Léa finit par reprendre la parole au nom du vaisseau : "Tu parles d’un élu qui n’a que quatre anneaux."
Alan joue alors sa dernière carte avec aplomb : "Le nombre d’anneaux est secondaire, une simple modalité de tri, loin de l’importance essentielle du succès de la mission, qui seule compte pour tes ma?tres."
"Stratégie utilisée ?" demande l’IA du vaisseau.
Alan répond sur le même ton : "Communication confidentielle, interceptable du sol. Nécessite adaptation des modalités en cours. Demande accès au vaisseau."
Le silence s’étire. Puis la réponse tombe : "Accordé. Si échec, élimination."
Alan est prisonnier de ses sentiments. Il a gagné une victoire : il peut accéder au vaisseau. Mais il sait aussi qu'il joue sa vie. S'il échoue à convaincre l'IA du vaisseau, il sera éliminé. Aucun recours, aucune seconde chance. Il doit finaliser sa stratégie.
Il lui faut maintenant coordonner ses actions avec Awa et Thabo et lancer un processus qui influencera positivement l’échange avec l’IA. Tout doit être pensé en amont, chaque mot pesé, chaque argument anticipé. Il n’aura pas le droit à l’erreur.
"Léa, quelles sont mes chances de survie ?" demande-t-il d’un ton qu’il tente de rendre neutre.
L’IA répond immédiatement : "Ne connaissant pas la stratégie que vous comptez employer, j’estime à 74% la probabilité que vous n’ayez pas plus de 10% de chances de survie."
Alan soupire. "Merci de ton soutien, Léa."
"Je peux formuler une réponse plus encourageante si vous en avez besoin."
Un sourire fatigué passe sur le visage d'Alan. "Non merci, je préfère la vérité."
Alan rentra à ses appartements, le regard sombre. Il n’avait trouvé aucune solution satisfaisante pour annoncer la nouvelle à Jennel. Il la trouva nerveuse, marchant de long en large, et lorsqu’elle le vit entrer, elle s’arrêta net, le regard empli d’interrogation.
"J’ai obtenu l’accès au vaisseau," dit-il simplement.
Jennel s’approcha, un sourire chaleureux illuminant son visage. "C’est incroyable, Alan ! Félicitations !"
Il ne répondit pas tout de suite, restant figé. Son silence alerta Jennel qui perdit son sourire.
"Alan, qu’est-ce qui ne va pas ?"
Il baissa les yeux un instant avant d’avouer :
"Il y a un risque. Si je ne convaincs pas l’IA du vaisseau... je serai éliminé."
Jennel eut un mouvement de recul, comme si le coup porté était trop brutal.
"Alors tu changes de stratégie !" lan?a-t-elle d’une voix plus forte qu’elle ne l’aurait voulu. "Tu ne peux pas toujours forcer la chance !"
"Tout doit s’accélérer," répondit Alan. "Il faut organiser une nouvelle réunion de l’alliance avec Thabo et Awa. Je dois leur présenter une première phase significative avant de me confronter à l’IA du vaisseau."
Le visage de Jennel se ferma. Elle croisa les bras, signe d’une décision irrévocable.
"Alors c’est moi qui irai avec Ingrid à la Base de Thabo."
Jennel, très en colère, reprit d’une voix glaciale :
"Puisque tu as décidé de t’offrir en victime expiatoire à une machine extraterrestre, je vais m’occuper moi-même de liquider l’élu de Banff."
Alan tenta de protester, levant légèrement la main comme pour apaiser la situation.
"Jennel, ce ne sera peut-être pas nécessaire..."
Mais même en pronon?ant ces mots, il se demanda intérieurement si elle n’en était pas capable. Il connaissait son intelligence et sa force de caractère. Elle n’était pas une guerrière, mais elle n’était pas non plus du genre à hésiter lorsqu’elle avait pris une décision.
Il prit une inspiration avant d’ajouter : "Réfléchis à tout cela jusqu'à demain."
Jennel lui lan?a un regard noir, les poings serrés.
"C’est tout réfléchi !" hurla-t-elle avant de tourner les talons et de sortir, laissant Alan seul avec ses pensées troublées.
Jennel sortit rapidement de la tour centrale, se dirigeant vers la grande entrée, le visage fermé, le cerveau en ébullition. Elle marchait d’un pas rapide, presque mécanique, comme si la rage qui l’animait ne lui permettait pas de ralentir. Au loin, le crépuscule teintait le ciel de nuances orangées, mais elle ne voyait rien de la beauté du spectacle.
Un garde en faction à l’entrée l’interpella :
? Madame, il n’est pas souhaitable de sortir au crépuscule. ?
Elle ne lui accorda pas un regard, poursuivant son chemin jusqu'à la limite du champ de répulsion.
Là, au bord des larmes, elle fixa l’horizon flou et murmura dans son communicateur :
? Léa, comment puis-je détourner Alan de cette idée ? ?
L’IA répondit après une brève pause :
? La question préalable est : jusqu’où peut-il aller ? Et si l’on en juge par ce que j’ai appris de son histoire antérieure, il ira jusqu’au bout du possible dès lors que votre image le portera. ?
Jennel crispa les poings.
? Tu ignores volontairement ma question, Léa. ?
? Il ne m’est pas possible d’y répondre autrement. ?
Un silence pesa entre elles. Jennel réfléchit, les lèvres serrées. Finalement, elle lacha dans un souffle :
? Alors… je dois dispara?tre. ?
? Si vous disparaissiez, il dispara?trait aussi. Probabilité : 88%. ?
Jennel ferma les yeux, le vent glacial lui fouettant le visage. C’était donc ?a. Alan ne reculerait jamais. Et elle… elle était prisonnière de son propre amour pour lui.
Jennel rentra à pas lents, son regard fixé au sol, les épaules basses. Elle traversa la grande place presque déserte, les rares passants s’écartant légèrement en la voyant, devinant son trouble. Au centre, assis sur un gradin de pierre, Alan attendait. Il releva la tête en entendant ses pas, devinant immédiatement son état d’esprit.
Elle s’assit à c?té de lui, sans un mot, regardant droit devant elle. Le silence s’étira entre eux, pesant.
? Ce n’est pas juste. ? finit-elle par lacher, la voix brisée.
Alan hocha lentement la tête, un faible sourire amer aux lèvres.
? Je me le suis déjà dit en une autre occasion. ?
Il tourna la tête vers elle, et dans la pénombre, son regard avait cette intensité troublante qu’elle connaissait bien.
? Jennel… Je ressens en moi une nécessité qui force mes choix. Je veux croire que j’agis pour le mieux, pour tous. Mais parfois, je doute. ?
Il baissa légèrement la tête avant d’ajouter plus doucement :
? Il n’y a qu’une seule chose dont je sois s?r. Mon amour pour toi. ?
Jennel tourna lentement son visage vers lui, les yeux brillants. Elle inspira profondément, cherchant ses mots.
? Tu crois que notre amour a été naturel. Mais il ne l’a pas été. ?
Alan fron?a légèrement les sourcils, intrigué.
? Il ne l’a pas été. Il nous est tombé dessus dans un monde brisé, dans des circonstances qui n’avaient rien d’ordinaire. Ce n’est pas un amour comme avant la Vague, avec ses étapes, ses hésitations, ses détours. Il est né dans le chaos et l’urgence. Il a d? grandir plus vite, se renforcer sous la pression des rêves et du réel. Ce n’est pas un amour naturel… mais il est plus vrai que nature. ?
Alan la regarda longuement, puis posa doucement sa main sur la sienne.
? Alors, on va faire ce qu’il faut. Ou ce qu’on croit qu’il faut. ?
Elle serra sa main, un faible sourire éclairant son visage fatigué.
? Ensemble. ?
JENNEL
Non, cela ne m’amuse pas de voir régulièrement mon mari aller à une mort probable. Ni de stresser en permanence en me disant que j’ai une sorte de héros près de moi et que j’aurais vraiment de la chance s’il ne pouvait pas devenir un martyr.
Impossible de nos jours de lui élever une statue ou de mettre son nom dans le calendrier.
A ce propos, Alan est un prénom celte qui veut dire ? beau, calme ?. Je ne ferai aucun commentaire.